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C'est très simple : c'est une question de doctrine. La doctrine, dans le
domaine militaire, ça fait tout ou presque (le soldat n'est là que pour
agiter les bras et tirer au jugé sur le champ de bataille)
C'est très compliqué : c'est un ensemble de paramètres qui a mené à cette
conséquence, paramètre sur lesquels il est très difficile d'agir.
I. L'Opinion
Mettre en branle une machine de guerre, ça requiert d'énormes moyens, qu'il
faut mettre à disposition de son armée, souvent au détriment d'autres branches
de l'industrie. L'Allemagne, "nourrie de rêves de revanche", a su le faire bien
plus efficacement que la France, en grande partie, d'ailleurs, Ã cause d'un
traité de Versailles ignominieux pour les allemands (trop, beaucoup trop - Ã
comparer au traité de paix en 45, puis aux manoeuvres de réconciliations qui
ont suivi, c'est frappant). Démilitariser la Ruhr, l'une des principales zones
industrielles du pays, et presque la mettre sous contrôle français, c'est un
peu comme si en 1870, les Allemands avaient exigé d'occuper la vallée du Rhône.
Il y a des trucs acceptables par un perdant, et d'autres non.
L'opinion allemande était donc remontée comme une pendule, par rapport à une
opinion française qui se souciait surtout de la reconstruction et de la
situation intérieure.
En outre, il faut comprendre une chose, tout aussi fondamentale : une part non
négligeable de l'opinion française était D'ACCORD avec les opinions d'Hitler
quant aux slaves, et aux communistes en particulier. Le Lebensraum était tout
à fait acceptable dans bien des chaumières bourgeoises et bien-pensantes dans
nos villes ou nos campagnes (ce qui mènera, plus tard, à la collaboration, car
bon nombre de français se prétendant patriotes ont préféré s'acoquiner avec les
nazis plutôt qu'avec les communistes). Le pays était clairement divisé en deux,
entre Mein Kampf et Le Manifeste du Parti Communiste, si on schématise.
Bref, pas la situation idéale pour mobiliser les moyens.
II. La Politique
A partir de là , les actions politiques de la France (et de l'Angleterre, qui
était dans le même cas que nous) s'en sont ressentis. La doctrine de paix et
de défense, les non interventions après l'Anschluss et les Sudètes, etc. Tout
ça ne vient pas juste de l'ineptie des politiques de ce temps. En partie, mais
pas que. Il y avait aussi une forte part de l'opinion qui se disait, Ã mots
couverts : "laissons faire Hitler, il va nous débarrasser des Russes" (ie, des
communistes). Le hic, c'est qu'en août 39, Hitler prend tout le monde à revers,
avec un pacte Germano-Soviétique qui sème le doute dans les esprits
occidentaux. On peut raisonnablement penser que les services de renseignements
anglais et français ont été au courant des "annexes" de ce pacte (ie la moitié
de la Pologne pour Staline, une fois l'attaque d'Hitler menée à bien, et les
mains libres en Finlande). A partir de là , ils sont prisonniers du jeu
d'alliance (même s'il semble qu'Hitler était persuadé que l'Angleterre
s'écraserait encore une fois après l'attaque de la Pologne)
Enfermés dans leur doctrine de "sauvons ce qui peut l'être", la France et
l'Angleterre ont laissé l'initiative à l'Allemagne, avec à leur tête des
officiers qui ont su exploiter cette faille.
L'exploitation maximale a d'ailleurs été, ama, l'invasion des Sudètes. Pour
information, les Sudètes constituaient le coeur industriel de la
Tchécoslovaquie. C'est là qu'on trouvait, notamment... les usines de chars
tchèques, beaucoup plus performants que les chars allemands en 38. C'était
aussi une ligne de défense montagneuse assez avantageuse pour les tchèques.
Accepter que l'Allemagne occupe les Sudètes, c'était 1) leur donner un
avantage industriel 2) mettre hors-course un allié extrêmement utile pour
l'Angleterre et la France. (Personnellement, plus que l'Anschluss, je pense
que ça a été les Sudètes, qui aurait du mettre le feu aux poudres. La guerre
contre l'Allemagne en 38, avec la Pologne et une Tchécoslovaquie entière
dans notre camp, Hitler n'avait aucune chance ou presque)
III. Le Militaire
Des livres entiers ont été écrits sur le sujet, et les détails fourmissent pour
expliquer l'avantage de l'armée allemande sur toutes les autres armées du monde
à cette époque. Je vais essayer de résumer.
1) Défaite = Remise en cause
De tous temps, les nations défaites ont toujours progressé plus vite dans le
domaine militaire (la Prusse après les défaites contre Napoléon, l'Allemagne
après 14-18, la France après les défaites républicaines après la Révolution,
etc. etc.)
Une défaite est beaucoup plus bénéfique, en terme de doctrine et de progrès
militaire, qu'une victoire (qui entraîne généralement une trop grande
confiance, une non remise en cause, bref, qui fait stagner son outil de guerre)
Entre 14-18 et 39-45, c'est flagrant : l'armée Allemande était mieux entraînée,
mieux équipée, mieux dirigée, que toute autre armée mondiale, peut-être Ã
l'exception notable des japonais. La guerre civile espagnole a permis à Hitler
de tester sa chaîne de commandement et son équipement en situation réelle (ce
qui n'arrive jamais, généralement), et lors des offensives de 39 et 40, ça a
eu un impact considérable (l'image la plus célèbre étant les bombardiers en
piqué Stuka faisant pleuvoir une pluie de bombes sur la Pologne).
2) L'apparition de l'armée de l'air
Il faut savoir qu'avant la 2e GM, l'armée de l'air n'existait pas. Les avions
étaient affectés à des unités terrestres ou navales, servaient la plupart du
temps d'éclaireurs ou d'espions, parfois pour des raids ponctuels, mais jamais
comme arme distincte et indépendante.
En 39-45, c'est l'armée Allemande (doctrine, toujours), qui fait apparaître
l'armée de l'air comme une arme à part, capable d'amener un conflit loin
derrière les lignes ennemies, de briser les lignes de ravitaillement, d'agir
de manière autonome tout en amenant une guerre de mouvement vers laquelle
tendent les autres armes (les blindés)
A côté de ça, l'armée Française, qui dispose de meilleurs avions que les
Allemands, les utilisent presqu'uniquement à mauvais escient. A plusieurs
reprises, les tenants de l'arme aérienne demandent plus d'indépendance par
rapport à l'armée de terre, demandent le regroupement des escadrilles afin
de pouvoir opérer en larges groupes capables d'attaquer les colonnes de
char ennemies.
Mais tout ça traîne, en grande partie à cause d'officiers supérieurs issus
de l'armée de terre, pour qui l'arme aérienne est un "gadget".
Autre exemple frappant : les escadrilles se situent principalement dans le sud
de la France, et mettent donc un temps abominable à rallier les lieux du
combat, le tout pour manquer très rapidement de carburant une fois sur place.
3) La doctrine défensive
Très tôt, la doctrine choisie par les EM anglais et français a été la défense.
Pas pour une question de moral, comme le prétend Emlyn, mais au contraire Ã
cause d'une confiance démesurée dans ses moyens. La Ligne Maginot n'était qu'un
élément du dispositif, qui s'étendait jusqu'à la mer du Nord par des complexes
de forts et de fortins sur la Meuse et la Geer, en Belgique. Le plan de défense
consistait à détruire tous les ponts sur ces rivières (les principaux étant
défendus par des positions réputées imprenables), ralentissant ainsi assez
l'avancée allemande pour permettre l'enlisement avant la contre-attaque.
Le plan était bon. Honnêtement, il était bon. Mais inadapté à la situation.
Problème de doctrine et d'adaptabilité.
Primo, lorsque les Allemands attaquent la Pologne, les armées française et
britannique ont les moyens de pénétrer en Allemagne. Hitler le sait et le
craint, ainsi que tout l'EM allemand. Si les alliés atteignent rapidement
quelques villes allemandes clés, l'effort de guerre aurait pu être stoppé
net. Seulement voilà , pris dans leur plan, les alliés attendent, laissent
les allemands (et les russes) écraser les polonais, puis se tourner vers
l'Ouest avec toute leur puissance de feu.
On ne sait pas ce qu'aurait donné une tactique basée sur une tentative de
voler au secours des Polonais, mais en tout cas, elle aurait pu difficilement
être pire.
Deuxio, les Allemands, eux, ont fait jouer à fond l'espionnage et
l'amélioration technique. Connaissant parfaitement les défenses de certains
des forts belges, ils conçoivent un plan audacieux et génial pour les
prendre rapidement sans que les ponts puissent être détruit. Au moyen de
planeurs, ils font atterrir des parachutistes (moins de 100, de mémoire, 85
dixit wikipédia) sur certains des forts stratégiques. Ensuite, grâce à des
charges spéciales (charges creuses créées spécialement pour l'occasion), ils
font se rendre les forts un à un (je crois qu'un seul fort belge tombera les
armes à la main, tous les autres se rendront... Et aucun pont ne sera détruit)
A partir de là , le plan s'effondre, et c'est une déroute presque forcée, même
si, plus tard dans le conflit, il y aura encore des erreurs monumentales qui
auraient pu provoquer un retournement de situation. Par exemple, pendant
l'avancée allemande sur Cherbourg, à la poursuite des anglais et des français,
les chars allemands avancent tellement vite qu'ils "sèment" l'infanterie.
Certains officiers (notamment de l'armée de l'air) proposent alors de contre
attaquer en pilonnant les colonnes de chars et en l'attaquant de flanc. L'EM
Français, qui flaire un piège ou est paniqué, refuse ce plan. Alors que c'est
une des leçons de base : les chars sans infanterie, c'est LE truc à ne jamais
faire.
IV. La Géographie
Pour gagner une guerre, l'un des trucs fondamentaux, c'est de pouvoir mobiliser
ses forces de production le plus longtemps et le plus efficacement possible.
Les Anglais ont pu le faire malgré les U-Boot allemands qui coulaient les
convois d'approvisionnement en ressources. Les Américains ont naturellement pu
le faire parce qu'ils n'ont jamais été inquiétés sur leur propre sol
(contrairement à ceux qui prétendront que Pearl Harbor les a durement touchés,
blablabla, les japonais ont coulé les navires les plus vieux, et aucun porte
avions, Pearl Harbor a limite été une manoeuvre politique de Roosevelt)
Bref, regarde une carte de France, et tu comprendras rapidement le problème.
Les industries d'armement, ok, no soucis : Bourges et St Etienne, ce sont les
endroits les plus éloignés des frontières, les plus inaccessibles pour
certains, bref, ça peut tenir jusqu'au bout. Par contre pour les ressources
(notamment, fer et charbon, à cette époque), aie aie... Meuse, Moselle, tout
le Nord Est de la France...
Je ne me rappelle plus les chiffres exacts, mais en 1940, après une semaine ou
deux de combat, les usines françaises ne tournaient plus qu'à 10 ou 15%... Tu
ne peux pas gagner une guerre si ton pays ne peut pas soutenir un effort de
guerre. Le militaire devient tout de suite très accessoire quand tu n'as plus
de munitions à fourguer aux hommes ou aux canons.
V. Des raisons de ne pas trop baisser la tête quand même
1. Faire comprendre cette diversité de l'opinion
Ce que les américains n'ont jamais trop compris, c'est qu'une partie des
français étaient (comme eux, en fait) plus contre les communistes que contre
les nazis. Ca a perduré très longtemps. Ce qu'ils prennent comme
une "collaboration de lâches" était en fait une "collaboration d'opinion".
Ca ne fait pas plaisir de l'admettre en tant que français, mais c'est un
fait. Les français collaborateurs se sont souvent extrêmement bien battus,
engagés au côté des allemands. Ils repoussent par exemple le débarquement
au Maroc, ou sont les derniers (la division Charlemagne) à défendre Berlin.
C'est un exemple typique de "L'histoire est écrite par les vainqueurs". Ce
sont les US et les Anglais qui ont gagné, donc tous ceux qui ont collaboré
avec les ennemis étaient des lâches.
Nothing is so simple.
Pour te donner une anecdote : les officiers de la Navale saluaient encore
le Maréchal Pétain bien après la fin de la guerre... Ca en dit long sur
les opinions des uns et des autres, quand même...
D'ailleurs, si ça t'intéresse, je t'invite à aller voir la biographie des
quatre Maréchaux de France de la 2e GM (Leclerc, Koenig, Juin, et De Lattre
De Tassigny) : sur les quatre, il y en a quand même un qui a donnée l'ordre
de tirer sur les américains... Ca pose un homme :))
2. Il y a quand même des hauts faits
Que ce soit en Norvège ou en Afrique, tous les rapports des EM impliqués
démontrent une très grande qualité des troupes françaises. Si celles-ci
n'avaient pas été minées par les dissenssions internes et les problèmes
politiques (qui ont fait coulé la flotte française à un tas de cons, par
exemple), on peut raisonnablement se demander ce qu'il serait advenu. Le
médaillon aurait pu être plus glorieux en tout cas.
Pour info, par exemple, il est de notoriété publique qu'El Alamein n'a été
gagnée par Montgomery qu'en grande partie grâce à la bataille de Bir Hakeim
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Bir_Hakeim). Je te citerai un
extrait du journal personnel de Rommel suite à cette bataille : "Une fois de
plus, la preuve était faite qu'un chef français, décidé à ne pas jeter le
fusil après la mire à la première occasion, peut réaliser des miracles, même
si la situation est apparemment désespérée"
3. N'importe qui avec une intelligence suffisante peut le constater
La France est souvent taxée de "lâcheté". Souvent par les américains,
d'ailleurs. Mais, et je cite (de mémoire) un américain avec qui j'avais
eu l'occase d'en discuter :
"Les USA ont trois siècles d'histoire, et n'ont pratiquement jamais connu de
menace sur leur sol (la seule fois où il y a eu une réelle menace, ils ont
d'ailleurs bénéficié de l'aide des lâches français, soit dit en passant), la
France a pratiquement quinze siècles d'histoire, et n'a pas vécu un seul de
ces siècles sans qu'une menace extérieure ne vise directement son sol.
Pourtant, ce pays existe toujours. Comme quoi, ils doivent savoir la défendre,
leur patrie".
'oilÃ
Je peux te détailler tel ou tel point si ça t'intéresse, parce que j'adore
vraiment ce genre de sujets. En substance : oui, on peut difficilement se
gargariser de 1940, mais l'américain moyen peut lui aussi difficilement se
gargariser pour ce que ses ancêtres ont fait. On juge un homme et une nation
par ses actes, pas par les actes de ceux ou celles qui l'ont précédé.
Thom' |