| Message:
En novembre 1993, à l'université de Liège, un groupe d'étude faisait passer une batterie de tests sur les processus de mémorisation à long terme, plus précisément sur la mémoire associative. Si les résultats de l'étude furent peu surprenants, faisant surtout avancer la recherche en raffinant les résultats de processus déjà connus, l'expérience eut néanmoins une retombée inattendue. Parmi les 472 volontaires, un jeune homme s'était découvert un talent certain pour l'association mnémotechnique.
Il a depuis appliqué ce talent à pas mal de domaines, mais son utilisation la plus mémorable reste l'établissement d'un code absolument incassable.
Le processus est simple: le sujet mémorise un texte précis. En utilisant sa mémoire visuelle, il fixe le texte dans son esprit et tape aléatoirement des chaînes de caractères sur un traitement de texte. Par la suite, il lui suffit de lire à nouveau la liste de signes sans signification pour se remémorer le texte à la virgule près.
Pour quelqu'un dont la vie privée est problématique, un tel système permet une communication opaque pour quiconque n'est pas le sujet. La communication reste à sens unique, mais la méthode permet, notamment, d'envoyer discrètement un message d'avertissement.
Une brève détonation, guère plus bruyante qu'un claquement de main, brise la chape de silence qui règne dans l'appartement. La porte d'entrée s'ouvre à la volée, chassant les volutes de fumée qui s'échappent de l'impact de balle traversant la serrure.
Deux hommes entrent dans l'appartement. Ils s'habillent chez le même tailleur: un homme qui aime par dessus tout les tissus italiens couleur taupe et les lignes épurées. Ils ont également le même coiffeur: un amoureux de la tondeuse, qui aime les lignes nettes. Et vu les armes qu'ils brandissent, leur armurier commun aime la qualité autrichienne et la discrétion.
Le studio est lumineux, sobre. Les armoires en bois sombre sont remplies de livres, les deux canapés couverts de journaux et le bureau, près de la fenêtre sud, supporte un de ces ordinateurs design qui tiennent entièrement dans l'écran. Ce dernier affiche pour le moment un mail qui, aux yeux pourtant exercés du plus grands des deux intrus, ressemble à du charabia sans queue ni tête.
Le plus petit des deux, lui, a les yeux braqués sur le mur est. Au dessus du buffet, il y a deux petits bras en bois, vissés à même la cloison. Il devait y avoir quelque chose au mur, se dit-il, et on l'a décroché. Il tend la main vers le portable posé sur le buffet.
Lui, c’est Karl. Il vient d’Alsace. Il travaille avec Giles depuis quelques années déjà. Il est un peu plus malin que la moyenne, il a des lettres, et il est fasciné par les coincidences. D’habitude, ça lui permet de repérer les problèmes assez vite. Mais on tombe toujours sur plus rapide que soi.
En parlant de coicidence: c’est exactement au moment où Karl pense le mot “décroché” qu’un énorme coup au visage fait de même avec sa mâchoire.
Karl est projeté sur le côté et sa tête heurte le buffet. Giles se retourne d’un mouvement sec, et pointe son arme dans la direction du type debout au dessus de Karl.
Ce qui a frappé Karl au visage - et ce qui était probablement posé sur les supports en bois - c’est un bon mètre vingt de chêne verni, profilé comme un sabre dépourvu de garde, tenu par type fin et à l'air fatigué, les cheveux en bataille autour du visage tiré. Il regarde Giles droit dans les yeux, sans ciller.
Pour Giles, le temps s'étire.
Il pense à peine à presser la détente lorsque le Comte quitte sa ligne de mire en tournant sur lui-même. D'un grand pas, il pose le pied sur la table basse, y prend appui, et lorsque la balle sort enfin du silencieux dans un claquement grave et profond, Giles voit le Comte suspendu dans l'air, sur sa gauche, brandissant son arme à deux mains au dessus de sa tête, la mâchoire serrée.
Sans réfléchir, Giles fait un pas en arrière alors qu'une balle perdue arrache quelques copeaux de la porte d'entrée. L'arme le frappe sur l'avant-bras. La douleur éclate et son pistolet tombe sur la moquette avec un son mat.
Son adversaire a déjà repris sa garde quand Giles fait un second pas en arrière et bute sur une corbeille en papier. Il perd l'équilibre et, encore debout, voit le Comte frapper d'estoc vers son estomac.
Il sent une douleur aiguë et humide au niveau de son abdomen. De l'acide reflue dans sa gorge. Il se brise les reins sur le bureau et sa tête percute l'épaisse fenêtre donnant sur la ville. Il ne voit pas le dernier coup arriver, mais il sent l'impact sur sa tempe. Puis le noir.
Le Comte lâche son arme et se rue vers le buffet en sautant par dessus Karl. Il saisit son portable, presse quelques touches et le porte à son oreille.
Il a déjà traversé le studio et décroche une poignée de cintres de sa penderie quand son destinataire décroche.
"Merci. On se voit demain."
Il raccroche, ferme le téléphone, le jette sur le lit et commence à boucler ses bagages. |
Forum 
