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Je copie-colle :
Quelle que soit l'ampleur des démissions, "il n'y aura pas de chaos immédiat dans les laboratoires"
LE MONDE | 09.03.04 | 12h43
Paralysie foudroyante ou asphyxie à petit feu ? Les conséquences sur le fonctionnement des laboratoires d'une démission administrative de leurs directeurs, mardi 9 mars, sont encore floues. Mais, que cette démission ait été massive ou non, "il n'y aura pas de chaos immédiat, le 10 mars, dans les laboratoires", assurent les responsables du collectif Sauvons la recherche ! sur leur site Internet.
Au dernier pointage, sur les quelque 65 000 signataires enregistrés, on dénombrerait un millier de directeurs d'unité, auxquels s'ajouteraient 5 000 chefs d'unité environ. Mais le nombre attendu de démissionnaires allait du simple (500) au double (1 000). "Nous n'avons fait aucun sondage", indique Jean Salamero, l'un des responsables du collectif.
Celui-ci a diffusé une lettre-type que les participants à l'assemblée générale organisée mardi, à l'Hôtel de Ville de Paris, seront invités à signer : "Assurer la responsabilité d'une unité de recherche dans-les conditions actuelles-, c'est cautionner un abandon de la recherche publique qui ne me paraît plus acceptable. En conséquence, je vous demande, monsieur le Directeur général, de me décharger de la responsabilité de directeur d'unité que vous m'aviez confiée", conclut ce document.
Dans la fonction publique, une telle démission ne prend effet qu'après acceptation par les directeurs d'organisme. Ceux-ci semblent vouloir apprécier l'ampleur de la mobilisation avant de décider de l'attitude à adopter. Le collectif décrit trois possibilités. Premier cas, la démission est acceptée. "Cela revient très rapidement à fermer les laboratoires, notamment pour des raisons de sécurité", indique-t-il. Les directeurs d'unité, outre leurs fonctions d'animation, d'encadrement et de recherche de financement, sont en effet en charge de l'hygiène et de la sécurité des installations, domaine où la responsabilité pénale peut être engagée en cas d'accident. C'est pourquoi les chercheurs jugent cette option irréaliste.
GRÈVE DES ÉVALUATIONS
La seconde option verrait donc le refus des démissions. Les démissionnaires pourraient alors entreprendre une grève administrative, qui aurait un impact moindre dans la mesure où ils resteraient, aux yeux de la loi, responsables des questions de sécurité. Cette grève administrative s'ajouterait à la grève des évaluations déjà décidée par les commissions d'évaluation au CNRS et à l'Inserm, source de paralysie du système à moyen terme.
Ces évaluations, qui portent sur les structures et les recrutements, sont effectuées régulièrement, mais ne sont pas transmises à la tutelle. Une démarche néfaste aux jeunes chercheurs ? "En aucun cas l'encadrement des thèses ou des stages post-doctoraux ne sera affecté : il n'a jamais été question de mettre en difficulté les jeunes pour lesquels nous nous sommes mobilisés", rétorque le collectif.
La troisième issue consisterait, pour les directeurs d'organisme, à nommer des directeurs intérimaires. "Il leur sera très difficile d'y parvenir, dans une situation où la majorité des directeurs adjoints et des chefs d'équipe, également signataires de l'appel, refuseront d'assurer l'interim", espère Sauvons la recherche !
La grande hétérogénéité du système français de recherche ne permet pas de prédire l'impact exact de cette épreuve de force : certaines unités sont mixtes, ayant des tutelles doubles, voire triples, partagées entre plusieurs organismes et l'université, ou l'industrie. Elles dépendent à des degrés divers des financements privés décrochés par le directeur d'unité. L'utilisation de sources d'énergie, de réactifs en chimie, voire d'aliments pour animaux diffère, elle aussi, selon les disciplines.
"En pratique, ça ne va pas amener de difficultés dans un premier temps, prédit l'astrophysicien Jacques Boulesteix (Marseille). Les laboratoires ne fonctionnent pas comme des entreprises, il y a toujours de la souplesse." La déstabilisation majeure tient au rôle d'animation du directeur d'unité : "Il joue un rôle important lors de la discussion scientifique qui préside à l'établissement du budget et aux demandes de postes, généralement en avril. Puis lors des demandes de crédit, à l'automne. Mais le premier impact sera avant tout symbolique", juge le chercheur.
"SENTIMENT DE DÉSERTION"
"La grève administrative peut mettre de la pagaille dans le système, analyse Xavier Chapuisat, président de l'université Paris-Sud (Orsay), qui accueille de nombreux laboratoires mixtes. Mais l'arborescence hiérarchique du service public fait que le niveau supérieur prend le relais en cas de défaillance." L'universitaire indique avoir reçu la visite de plusieurs directeurs d'unité signataires qui s'interrogeaient sur l'opportunité de démissionner. "Ils avaient un peu le sentiment d'une désertion, s'interrogeaient sur l'impact de cette initiative", note-t-il, partageant leur questionnement vis-à-vis d'un geste inédit qui pourrait, craint-il, être mal interprété par le grand public.
Le biologiste Christo Goridis, du département de biologie de l'Ecole normale supérieure (UMR 8542), signataire de la pétition, a décidé de ne pas démissionner, jugeant qu'il ne fallait plus se figer sur la revendication des 550 postes statutaires, mais que "le véritable enjeu, désormais, était les états généraux". Sa démission, au reste, aurait eu peu d'effet, car son directeur adjoint, non signataire, aurait pu assurer la continuité : "La démission devenait un symbole, dans mon cas un peu hypocrite."
Hervé Morin |