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Topic: Kalon le destructeur
Posted by: Bussiere collabo at mar. 20 avril 2004 13:48:22 CEST

Keywords: ni peng

Message:

voici une pardoie d'heroic fantasy assez sympas trouvable ici :
http://mapage.noos.fr/aspexpl/kalonbrw.htm


bon je met les premiers chapitres :







Kalon et L'île du Dieu fou

Une nouvelle horrifique de
sword & sorcery & heroic fantasy

par Asp Explorer



I ) les chroniques de l'âge bornérien.

Entre la chute de l'Empire d'Or et l'avènement des Pères de Mrryn, alors que les horreurs sans nom du Cycle de Sang n'étaient déjà plus que légendes terrifiantes et que les Dieux Aînés n'avaient pas encore commencé à comploter pour leur retour, le monde connut une ère troublée appelée Âge Bornérien.
C'était un temps de sorciers et de démons, de puissantes forteresses et de hordes innombrables, de fer et de feu, un temps où, par la ruse, l'adresse ou la force, un homme pouvait se dresser contre le destin et triompher des obstacles mis sur sa route par les dieux ombrageux, un temps où encore se dressaient les ruines cyclopéennes des cités perdues de Xhan, pleines des cris des âmes suppliciées en ces lieux vingt siècles plus tôt, de sombres et mystérieuses forêts recouvraient alors la Terre et donc le papier ne coûtait pas cher, ce qui explique qu'on y aimait tant les interminables introductions.
Et si un seul nom devait rester de cette époque, ce serait celui de Kalon.

II ) où l'on apprend l'histoire de Kalon.

Il avait suivi un cursus somme toute assez classique; après une enfance pleine de jeux virils et mémorables corrections paternelles, il avait accompagné sa horde qui épisodiquement écumait son Héboria natale et les provinces environnantes, ce qui lui avait valu malgré son jeune âge une flatteuse réputation de sombre brute. Puis il avait vu son clan massacré sous ses yeux par un mystérieux cavalier à l'armure noire dont, à ses moments perdus, il cherchait à se venger. Mené en déportation dans les mines de Thendara, il eut tout loisir de cultiver sa musculature avant que des marchands Khnébites ne le remarquent et ne le rachètent pour en faire un gladiateur dans une de ces petites arènes itinérantes qui sont la spécialité des terres du nord. Il se perfectionna alors au métier des armes, et apprit le peu qu'il savait sur le monde avant de s'évader et d'embrasser la carrière de mercenaire dans l'armée de Badalos, prince cadet de Melgosia, une petite cité-état assez crasseuse qui, dans la région, passait pour une métropole impressionnante. Il prit donc part à sa première guerre, un conflit aussi atroce que bref entre Badalos et son frère aîné dont les enjeux étaient le trône bancal et la couronne oxydée de Melgosia.
Le destin voulut qu'il choisisse le camp du vainqueur et c'est fièrement qu'il entra dans la ville en flammes, à la tête de la demi-douzaine de bons à rien qu'on lui avait confiés. Après une semaine de beuveries, l'esprit embrumé par le vin (c'est à dire un petit peu plus embrumé que d'habitude) et suite à un pari d'ivrogne, Kalon succomba aux charmes par ailleurs sujets à controverse de la princesse Zenia, soeur de Badalos. Mais après qu'il lui eut offert d'inoubliables instants de volupté, il fut surpris par la garde qui ne lui laissa guère le temps d'expliquer que la belle ne lui avait pas fermé la porte (ce qu'en fait il n'avait pas vérifié, étant passé par la fenêtre), qu'elle s'était lascivement alanguie dans ses bras (après qu'il l'eut assommée, il est vrai) et qu'elle ne s'était pas explicitement refusée à lui (la pauvrette étant muette de naissance). Quoi qu'il en soit, Kalon sauta sans blessure aucune de la plus haute tour du palais - soit, il était au premier étage - et s'en fut vers le nord où il savait trouver la Forêt des Ombres qui lui fournirait, il y comptait, un abri.

III ) où notre héros échappe à la mort, du moins temporairement.

Or il se trouvait que la Forêt des Ombres avait connu des jours meilleurs. Au temps jadis en effet s'étaient dressés là, tels autant de soldats immobiles, titanesques et éternels, des millions de séquoias géants aux lourdes branches chargées d'épines longues et noires et de chatons pelucheux, mais la main avide de l'homme, la mandibule vorace de l'insecte xylophage, à moins que ce ne fussent les pluies acides, avaient ruiné à jamais ces cathédrales de verdure dont il ne subsistait que troncs moisis et bosquets chenus.
Kalon courait donc de toute la vitesse de ses jambes, et dieu sait qu'il pouvait courir vite dans les plaines glacées d'Héboria, mais le plateau où il se trouvait était accidenté, couvert de divers résidus végétaux et il était pieds nus, car ses sandales étaient restées dans la chambre de la princesse. Le reste de ses vêtements aussi, d'ailleurs. De toute manière, le plus piètre cavalier ira toujours plus vite que le meilleur des coureurs, et les Gardes Noirs de Melgosia savent, entre autres choses, monter à cheval. Kalon atteignit un providentiel vallon dont il dégringola plus qu'il ne dévala le flanc escarpé et - miracle - boisé. Les chiens l'y suivirent bientôt.
Ce qui avait sauvé Kalon jusqu'ici, c'est que le dogue melgosien n'est pas un chien courant, à la base. Trapu, plutôt petit, juché sur de curieuses pattes arquées et revêtu d'un pelage ras par endroits et inexistant ailleurs, il semblait de prime abord que le créateur ait été distrait quand il l'avait conçu. C'était faux: en fait, toute son attention était concentrée sur la partie avant, celle qui porte les dents et que, pour simplifier, nous appellerons "tête". Le dogue melgosien est une machine à mordre, il est connu que lorsqu'il tient une proie entre ses terribles mâchoires, seule la mort peut le faire lâcher prise. On connaissait du reste des cas où la mort n'avait pas suffit.
En bas dans le ravin, coulait un ruisseau, ce qui est géodésiquement assez cohérent. Les chiens s'arrêtèrent sur la rive, traversèrent dans les deux sens, coururent en rond et gémirent en attendant que leurs maîtres cavaliers arrivent.
- Il a dû descendre le long du ravin, sire, pour troubler les chiens, fit le capitaine de la garde, martial.
- Ou bien le remonter, nota le roi, maussade. Il se serait bien passé de cette expédition punitive dans la campagne, il y avait tant à faire en ces lendemains de victoire. Heureusement qu'il pouvait compter sur un bourreau dévoué et dur à la tâche.
- Habituellement, sire, les animaux sauvages pris dans une telle situation descendent les rivières, ils vont plus vite.
- Et ils se font prendre car tous les chasseurs connaissent le coup. Notre homme est rusé, il a du souffle, il a du aller en amont pour nous tromper. En avant!
Et les chevaux repartirent dans de grandes gerbes de boue et d'eau glacée.
Badalos était un aristocrate volontaire et intelligent, mais avait cependant un défaut, bien excusable vu son métier : il méprisait au plus haut point les gens du commun, auxquels il se mêlait le moins possible, préférant frayer avec les gens de sa caste car parfois ils se lavent. Ainsi durant la guerre éclair qui l'avait porté sur le trône, avait-il peu fréquenté sa propre armée, et encore moins les mercenaires barbares qu'il avait engagé. L'eut-il fait qu'il se fut vite rendu compte d'une étrange particularité anatomique: la cervelle de Kalon était aussi lisse que son biceps était noueux.
Notre héros avait en effet suivi sans se poser de question tout à la fois son instinct et la pente, ce qui l'avait conduit au bord d'un lac. L'endroit était inquiétant, rien ne poussait sur la berge boueuse qu'on eut pu appeler plante sans offenser mortellement la gent végétale, une brume matinale flottait au-dessus de l'eau, lui donnant une teinte grisâtre et brouillant avec juste raison la forme hideuse d'une île tourmentée, au large. A un jet de pierre des premières vases émergées, une barque minuscule au bois noirci par la putréfaction servait de support à un personnage voûté, entièrement recouvert d'un manteau noir et tenant une longue gaffe dans sa main gantée . Sa capuche baissée ne laissait rien voir de son visage, et sans doute était-ce mieux ainsi. Kalon sauta prestement sur la barque d'une stabilité étonnante pour sa taille, et ordonna au passeur de sa puissante voix:
- Là-bas !
Il désignait l'île sombre d'un index impérieux.
Et le passeur appuya sur sa gaffe, propulsant son embarcation à une vitesse surprenante. Ils n'étaient déjà plus à portée de flèches lorsque les cavaliers et leurs chiens déboulèrent sur la rive et Kalon, debout à l'arrière du frêle esquif, les salua de son regard de fer et d'un vigoureux bras d'honneur. Peut-être aurait-il été moins fier s'il avait pu entendre le rire du roi Badalos et de ses gardes, peut-être aurait-il été plus prudent s'il s'était demandé pourquoi un passeur attendait à cet endroit où, manifestement, aucune route ne menait, mais insouciant et confiant en son destin, Kalon d'Héboria filait sur l'eau vers l'île du Dieu Fou.

IV ) où l'on découvre l'île maudite de Lowyn.

C'était une terre d'une désolation comme peu de gens en ont jamais contemplée: une terre caillouteuse et infertile, noire comme la mort et dont semblaient suinter des exhalaisons méphitiques et impies que même l'âme lourde de notre barbare ne pouvait ignorer, parsemée d'innombrables dalles brisées ou couchées dans lesquelles on reconnaissait des tombes anciennes, sans nom. Pris d'une compréhensible hésitation, il fit demi-tour pour constater que déjà le passeur avait disparu dans la brume qui soudain s'était épaissi.
Alors il marcha sur l'île à la recherche d'un abri, d'armes, de vêtements et d'un bateau pour rejoindre un rivage plus accueillant. Il marcha longtemps car l'île était vaste et, partout, se dressait le même cimetière, sinistre et glacé, que nul renard, nul passereau ne venait réclamer comme son territoire. La brume lui cachait même le soleil et il se retrouva, après une heure, sur un rivage qui lui était familier puisque c'était celui qu'il avait quitté un peu plus tôt.
Notre héros commença alors à perdre le contrôle de lui-même. Certes les natifs d'Héboria sont de rudes gaillards à l'âme bien trempée, habitués aux longues randonnées solitaires dans les contrées hostiles, combattants à la bravoure reconnue, n'hésitant guère à attaquer les monstres les plus hideux des montagnes boréales ou les redoutables tribus masquées de Blov dont le nom fait frémir les plus téméraires, mais la magie est rare dans les terres du nord et ses habitants sont superstitieux au plus haut point. Kalon l'inflexible commençait donc à prendre peur. Et lorsque de la brume se formèrent autour de lui de curieux tourbillons muets, son coeur se glaça et ses membres se paralysèrent. Les tourbillons prirent forme presque humaine tandis que dans les oreilles de notre héros, les battements frénétiques de son propre coeur firent place à une musique comme il n'en avait jamais entendue, un petit air de flûte à la fois espiègle et lourd de menaces innommables. Alors les spectres parlèrent à Kalon:
- Fuis, héros, fuis l'île du Dieu Fou.
Une autre voix derrière lui:
- La mort t'attend sur l'île de Lowyn, fuis si tu veux vivre, et oublie le glaive si tu ne veux pas nous rejoindre.
Une présence féminine, près de son oreille gauche:
- Donne-moi ta vie, guerrier, donne-moi ta chaleur...
Mais déjà Kalon avait retrouvé sa mobilité et traversé en hurlant le cercle des âmes errantes, courant loin devant lui, loin des spectres qui le mettaient en garde.
Il n'arrêta sa course folle que quand il heurta le mur d'une grande tour.


V ) Où l'on rencontre Melgo le voleur.

Le coup lui avait fait reprendre ses esprits et notre héros, le coeur battant, allongé dans l'herbe rare, pouvait admirer la haute silhouette d'un grand édifice carré dont le sommet se perdait dans les brumes. La pierre en était noire et gluante d'une sorte de lichen humide et malsain qui semblait la manger jusqu'aux tréfonds. Le barbare sauta prestement sur ses pieds, considéra longuement la tour qu'il n'avait jusque là pas vue, se demandant à peine comment une telle construction avait pu lui échapper. Pensant trouver un abri sûr, Kalon fit donc le tour du bâtiment et finit par trouver une porte de bois lourd et noir, ornée de motifs de bronze passé et usés dont le sujet n'est pas racontable ici. La porte était entrouverte et un curieux mécanisme était engagé dans sa serrure. Il la poussa sans difficulté et pénétra sans hésiter dans les ténèbres. L'écho du bruit de ses pas renseigna ses oreilles entraînées sur les dimensions de cette salle, qui devait occuper tout le rez-de-chaussée de la tour, le plafond quand à lui était trop haut pour être décelable. Il attendit, immobile, que ses yeux s'habituent à l'obscurité et huma l'air pour passer le temps. Il enregistra, par dessus les relents de putréfaction habituels de l'île, une odeur de fumée qui mit un certain temps pour arriver jusqu'à son cerveau.
- Y'a quelqu'un ?
- Toi aussi, tu viens pour le trésor du Dieu Fou?
Entre le barbare et la porte, dans un silence absolu, s'était glissé un homme d'assez petite taille, enroulé dans une cape sombre. Kalon ne voyait de lui que la silhouette trapue et la longue lame d'acier d'une rapière soigneusement polie. Sa voix, extraordinairement douce et calme, inspirait la confiance et la bonté. Tout dans sa mise et son attitude trahissait le voleur professionnel. Kalon se demanda de longues secondes durant de quel trésor parlait le petit homme, puis décida de jouer la subtilité.
- Ouais.
Le voleur se maudit d'avoir aussi stupidement dévoilé la raison de sa présence à ce sauvage nu et désarmé qui, visiblement, n'avait jamais entendu parler du Dieu Fou ni des secrets de son antre, c'était à se frapper la tête contre les murs. Puis les enseignements de son vieux maître lui revinrent en mémoire. Le sage disait “ Lorsque le destin met une pierre sur ton chemin, demande-toi si tu ne peux pas la jeter à la tête de ton ennemi ”. Car après avoir déployé tout son art dans le crochetage de la serrure d'entrée, qui était bourrée d'aiguilles empoisonnées, d'acides divers et de pièges subtils, notre homme se retrouvait maintenant bloqué par un obstacle d'une stupidité peu commune, et la brute qui venait d'apparaître lui semblait maintenant un cadeau envoyé par Xyf, dieu des voleurs et des marchands, pour le récompenser de ses efforts.
- Que dirais-tu d'unir tes forces aux miennes, si la légende dit vrai nous ne serons pas trop de deux pour vaincre les périls qui nous attendent dans les caves de la tour, et il y a bien assez de trésor pour faire notre bonheur.
Kalon, n'ayant rien de mieux à faire ce jour-là et intéressé par la perspective de gains rapides et faciles, ne se le fit pas dire deux fois.
- Ouais.
- Je suis Melgo, "négociant" de Pthath. Petite est ma taille mais grandes sont ma ruse, mon audace et mon intelligence. Nul mieux que moi ne manie à la fois le verbe et l'espadon dans les contrées septentrionales, et le récit de mes exploits a fait le tour de toutes les tavernes du monde. Certains me nomment ami, frère, compagnon, d'autres maudissent le jour où ma truie de mère se livra à mon chien de père contre quelques bagolles , mais tous s'accordent à le dire, et moi le premier, je suis voleur et j'en suis bien aise.
- Kalon, Héborien.
- Pas bavard hein, tant pis, je le suis pour deux, à ce qu'on dit. Comme tu as pu le voir j'ai, en déployant des trésors de dextérité et d'astuce, ouvert la Porte de Bronze des Amitiés Animales dont parle la légende, et je m'apprêtais à soulever cette dalle qui, je le pense, nous mènera au Couloir des Peines Profondes. Veux-tu m'aider?
- Ouais.
Le voleur alluma une torche et désigna un endroit du sol. Melgo était, comme on l’a dit, de taille fort moyenne, ce qui est plutôt un avantage dans une profession où il est courant de devoir se glisser dans des endroits étroits, se cacher et passer inaperçu. A ce titre il était favorisé par son physique, qui ne présentait ni grâce particulière ni laideur notable, un témoin aurait donc été bien en peine de le décrire. Peut-être son regard noir et inquisiteur ou sa calvitie naissante auraient-elles pu attirer l’attention de quelqu’un d’observateur, et encore. Disons simplement qu’il avait les cheveux bruns et longs attachés par un catogan, mais il changeait souvent de coiffure, le teint mat des gens du sud, qui pouvait passer pour le bronzage d’un paysan, et qu’on lui donnait en général dans les trente ans. Cela faisait six heures qu’il s'escrimait à tirer l'anneau de bronze fixé à l'énorme dalle ornée de gravures hideuses qui occupait le centre de la salle, sans arriver à l'ébranler un instant. Il avait même un instant songé à faire demi-tour pour chercher des renforts en Sellygie, quitte à déclarer ce vol à la Guilde des Voleurs locale. La réponse laconique de l'Héborien le remplit d'une exultation qu'il eut du mal à dissimuler, malgré de longues année d'études et un certificat d'escroquerie du deuxième degré obtenu avec mention bien; vu la carrure de son nouvel allié, nul doute qu'il parviendrait à ouvrir le passage. Car notre héros était exceptionnellement bien bâti: mesurant plus de seize pouces et deux pieds de haut pour trois aunes et un empan de large, il avait plus de mal à passer dans les portes qu'à se faire remarquer en société. Notons au passage que ces mensurations sont à comprendre en pouces Khnébites, pris à partir du gros orteil du prince Mulittzar l'Ecrase-Merde (1 pK = 14,09 cm), en pieds Volhards, mesurés sur le foetus momifié de Volhard V, Celui-Qui-Aurait-Dû-Etre-Le-Fléau-Du-Monde (1 PV = 3,75 cm), en aunes de Baal-Nezbett (soient dix-sept et trois-quarts de fois moins que la hauteur du Temple Titanique de la Foi Éternelle de Bel-Shamaroth après le tremblement de terre qui le ravagea en 704, 1 aBN = 38,77 cm), et en Empans Sacrés de Poualla (1 ESP = 14,25 cm)3 .
Kalon avait donc le physique que l’on était en droit d’attendre d’un Héborien, une chevelure noire comme la nuit mettant en valeur son échine musculeuse, des membres solides comme des colonnes de marbre, un torse rappelant le tronc d’un chêne et un visage dur comme les glaciers du Bouclier des Dieux.

VI ) Où nos amis déjouent quelques pièges de façon peu orthodoxe.

Donc, Kalon s'approcha, s'accroupit, prit la poignée à deux mains et commença à tirer de toutes ses forces. Il ne fallut guère de temps pour que la pierre cède et se soulève dans un fracas de tonnerre, répandant autour d'elle mille cailloux et fragments aigus, ainsi que de considérables quantités d'une poussière sèche et malodorante. Considérant la puissance étonnante de son partenaire, Melgo commença à douter de l'opportunité de l'égorger une fois le trésor trouvé, comme il en avait tout d'abord eu l'intention. Kalon regardait maintenant l'orifice carré d'un air bovin. Une volée de marches abruptes taillées dans le roc massif s'enfonçaient dans le sol jusqu'à une petite pièce qu'on devinait péniblement à la lueur de la torche. Ce fut lui qui descendit le premier, lentement, attentif au moindre bruit, à la plus petite déclivité, à un quelconque signe qui pourrait trahir la présence d'un piège ou d'un ennemi dissimulé. La cave était basse, voûtée, son sol était de terre battue et sur le mur opposé à l'escalier, les feux dansants de la torche accrochaient les argents d'une porte massive, ornée hélas des mêmes types de dessins que la porte d'entrée.
- La Porte d'Argent des Amitiés Animales, la légende dit qu'elle recèle un piège encore plus dangereux que la première.
- Ah, fit le barbare avant de bondir sur la porte et d'y donna un grand coup de pied. Elle se brisa en plusieurs endroits et des morceaux de bois pourri et vermoulu volèrent de l'autre côté, dans un couloir long et étroit. Melgo examina les débris de la serrure, constatant qu'effectivement le second piège était plus subtil encore que celui qu'il avait déjoué quelques heures auparavant, puis releva la tête et ses yeux s'agrandirent d'effroi: Kalon, qui s'était avancé dans le couloir, s'apprêtait à marcher sur une dalle légèrement plus grande que les autres, légèrement plus basse, légèrement mieux taillée... . Bien sûr, ses yeux de voleur expérimenté, qualifié, diplômé et prébendé avaient immédiatement repéré le piège, sans doute quelque trappe insondable garnie de pieux barbelés, empoisonnés, explosifs, maudits et rouillés, comme elles le sont toutes.
- Ne bouge plus, Kalon!
- Hein?
Et Melgo s'aperçut que sa langue l'avait trahi une seconde fois. Qu'avait-il donc prévenu ce barbare du destin funeste qui l'attendait, ce piège sans doute l'aurait débarrassé d'un allié, toujours encombrant au moment du partage, et quand bien même aurait-il survécu que Kalon n'aurait eu aucun motif de lui en tenir rigueur. Mais il était trop tard maintenant, et le rusé - mais pas trop - Melgo, ne voulant pas prendre de risque, indiqua le piège à son compagnon d'aventure. Celui-ci, incrédule, voulut faire un essai. Il retourna vers la porte, en arracha un lourd fragment de bois qui pendait encore à un gond et le lança sur la dalle suspecte. Elle bascula avec le cliquetis d'une mécanique bien huilée, laissant choir le morceau de bois dans une fosse carrée dont on ne voyait pas le fond. Après quelques secondes, on entendit un choc suivi d'une série d'explosions, et quelques lamelles de fer oxydé et enduites d'une substance verdâtre et gluante vinrent se ficher en sifflant dans le plafond voûté du couloir.
- Oh !
- Bien. Je crois que ce piège est désamorcé. Continuons, mon ami.
Kalon, vaguement conscient d'avoir une dette envers le voleur, décida qu'il était temps de l'impressionner par une performance physique. C'est toujours ainsi qu'il agissait lorsqu'on découvrait la pauvreté de son intellect, il cherchait à compenser sa faiblesse par un coup d'éclat qui faisait taire les moqueurs, du moins lorsqu'il était présent. C'était une attitude naturelle, inconsciente mais qui lui avait toujours réussi. La fosse mesurait environ quatre aunes de Baal-Nezbett, c'est-à-dire qu'un enfant de dix ans pas trop souffreteux aurait pu la franchir sans peine, mais Kalon n'en recula pas moins jusqu'à l'ex-Porte d'Argent des Amitiés Animales, courut d'une foulée aussi puissante qu'élégante et, d'un bond gracieux autant qu'inutile, enjamba plus du triple de la longueur de l'obstacle. Il retomba lourdement, plutôt content de sa performance, avant de se retourner, souriant triomphalement à Melgo qui jugea avisé de féliciter chaudement son compagnon. Il prit à son tour son élan et chut quelques pouces (Khnébites) au-delà du bord de la trappe.
A l'instant où son pied toucha le sol, il sentit que quelque chose clochait. Nul doute que si , dans le calme de la salle d'étude de sa guilde, quelque maître-voleur retors lui avait décrit une telle situation, il aurait soupçonné une quelconque rouerie de la part de l'architecte qui avait conçu une si piètre trappe dans un souterrain sensé abriter un dieu. Nul doute qui si, quelques années auparavant, il avait assisté au cours intitulé “la double-trappe de Moggen, principe, usage et histoire” au lieu de courir la gueuse dans les tavernes de Thébin, il aurait réfléchi à deux fois avant de sauter bêtement à la suite du barbare. Mais c'était trop tard, et la dalle bien cachée sur laquelle il se trouvait basculait maintenant, l'entraînant vers des profondeurs qu'il imaginait lointaines et inhospitalières.
Et alors qu'il s'apprêtait à rencontrer Xyf, son dieu, après une déplaisante mais courte agonie sur les pieux explosifs, empoisonnés, maudits, barbelés et rouillés qu'il savait trouver en bas, la main puissante et calleuse de Kalon l'Héborien agrippa son poignet et le tira prestement du trou, lui déboîtant un peu l'épaule par la même occasion.
- Merci, Héborien, maintenant nous sommes frères de sang et si un jour...
- Ouais, fit le barbare, qui était peu enclin aux serments éternels et viriles accolades, habituelles en de telles circonstances.
Et nos amis, sans échanger d'autres mots, reprirent plus lentement leur progression le long du Couloir des Peines Profondes, Melgo passant en premier avec la torche, attentif à la moindre aspérité de la roche. D'après la légende, la Porte d'Or des Amitiés Animales était défendue par une rune magique particulièrement meurtrière, sur laquelle Melgo avait plus ou moins compté pour se débarrasser de Kalon. Mais de la porte il ne restait que quelques échardes humides, des gonds monstrueusement gonflés par la rouille pendant lamentablement dans l'encadrement et quatre plaques d'acier poli sur une face et doré sur l'autre, représentant ce que vous devinez, jonchant lamentablement le sol depuis des éons. La rune, à la longue, avait dû ronger le bois, l'enchanteur ne devant pas être très consciencieux.
Derrière feue la porte, le couloir faisait un coude et nos amis devinaient comme un air lointain, le son d'un flûtiau aigrelet égrenant quelque étrange mélopée semblant venue de la nuit des temps, de quelque civilisation oubliée, une musique à la fois espiègle et pleine de menaces voilées et de hideux sous-entendus. Un rougeoiement inquiétant émanait de l'endroit dont, avec quelque appréhension, nos héros approchaient. Kalon se glissa le long du mur, d'une démarche féline et silencieuse, hésita quelques secondes, puis risqua un rapide coup d'oeil.

VII ) Où l'on découvre avec horreur l'antre du Dieu Fou.

Dans une grande pièce circulaire, sous une voûte unique et puissante, quatre torches fichées dans le murs éclairaient, ou plutôt soulignaient les ombres des nombreux objets qui encombraient le sol dallé et poussiéreux. Un autel de pierre pâle, haut comme la moitié d'un homme, représentait un veau monstrueux à six pattes et deux têtes. Le dos de l'animal semblait plus sombre et zébré de stries minuscules. A une corne pendait une forme sombre et velue que Kalon souleva. C'était un vêtement de peau de bête humide et infesté de vermine, qui se déchira et tomba par terre dans un bruit mou et écoeurant. Diverses pièces d'étoffe, ou ce qui y ressemblait, achevaient de moisir en de multiples petits tas indistincts et dispersés. A l'autre bout de la salle, contre le mur, se dressait un monticule de ce que nos amis préférèrent prendre pour des branchages blancs et secs, parfois recouverts de pièces de cuir noirci. La musique venait apparemment d'une statue de faune dansant et jouant de la flûte de pan, de la même pierre que l'autel, et qui gisait renversée devant l'entrée. Derrière, le squelette de quelque malheureux gisait, grotesquement affalé sur un coffre éventré laissant échapper son contenu de pièces d'or, d'argent et de cuivre. Les vêtements du mort étaient depuis longtemps tombés en poussière, et seul l'arceau et les attaches rouillées de son bouclier attestaient qu'il en avait eu un. Son épée par contre avait résisté à l'assaut du temps et à la corruption de ce lieu sinistre. Un miroir enfin, ovale, massif, plus grand que Kalon, encadré d'un support de bronze poli dont les ornements rappelaient sans nul doute ceux des trois portes, trônait au centre de la pièce, irradiant le maléfice.
Sans plus attendre ni se poser de question, les deux hommes se précipitèrent vers le coffre avec l'instinct que donne de longues années de rapines. Melgo balaya le squelette d'un revers de la botte et acheva de briser le bois vermoulu à coups de pieds. Puis il s'agenouilla dans le tas de pièces et en jeta de pleines brassées en l'air, riant et poussant de petits cris.
- Nous voilà riches, Kalon, riches comme des rois. Regarde tout cet or...
Kalon était quant à lui plus sobre dans son triomphe, il s'était emparé de la lourde épée d'acier poli et la contemplait avec des yeux ronds depuis de longues secondes, la tournant lentement dans ses mains expertes afin d'admirer tous les reflets subtils de la longue lame. Par instant la lumière semblait danser non à la surface, mais à l'intérieur même du métal.
C'est à ce moment qu'une des cornes du veau à deux têtes se détacha et se fracassa par terre, prévenant providentiellement nos piteux héros du péril qui les menaçait: le grand miroir émettait une vapeur noire et grasse qui coulait sur le sol telle une marée immonde venue d'une autre réalité tandis que la glace se troublait, laissant entrevoir quelque forme encore indistincte mais qui, en se précisant peu à peu, ne gagnait guère du point de vue esthétique.
Une main ou une patte griffue sortit du miroir et saisit l'encadrement, une sorte de pied caoutchouteux se posa sur le sol qui se mit immédiatement à grouiller d'une vermine sortie d'on ne sait où. Enfin émergea, au bout d'un long cou parcheminé et gangréneux, une tête qui semblait issue du croisement d'une limace, d'une mouche et d'un ustensile de bourreau. La créature se dégagea avec peine des flux d'énergie magique qui l'environnaient, s'ébroua en un frisson et tourna sa tête de cauchemar vers Kalon et Melgo pétrifiés. Ils se sentirent alors repoussés par une aura de puissance et de malévolence peu commune, à moins que ce ne fut par l'odeur de la bête, qui rappelait assez celle des latrines de la prison de Nolab'Hazn la cité des mendiants après l'épidémie de choléra de 709.
- MORTHELS, PHREPAREZ-VÔOS A AFFRÔNTER VÔTRE DESSSTIN. TROÔVEZ LÂ REPHONSE A MONNN ENIGHME ET JE VÔOS ACKORDHE LA GRASS D'ÛN MÔORT RAPYIDE.
- Ah, et si on ne trouve pas ? demanda Melgo en maîtrisant un tremblement.
- NHIIYGHA VNHY VNHY VNHY VNHY !
Il fallut un certain temps aux deux hommes horrifiés pour comprendre que la créature, dans une tentative pathétique pour singer un comportement humain, riait.
- VOICYI L'ENIGHME: KHELLE ETHRANGE CREATHÛRE SUIS-JE DONKH, KHYI LE MATTIN MARSH SÛR KHATTRE PATTHES, Â MYIDYI SÛR DEUX ET LE SOÂAR SÛR THROÂAA ?
- C'est facile, s'écria Melgo, soulagé. C'est l'homme, qui au matin de sa...
- PHERDÛ !
- Quoi perdu, mais c'est la vieille énigme des Dippes, tout le monde la connaît! Je proteste!
- LA REPHONSS KÔRRECKQTH ETAIT: LA GERBOÂZE CREPHÛE DU HAUT-MEDDOCKQ. JE VAIS DÔNCK VÔOS DEVÔRRER TÔOS DEUX ET VÔS CORR SE DISSOÜDRONN LENTEMANT DÂNS MES SUCKS DYIJJESTIFS THANDYIS KHE VÔS ÂMES GÊHIRÔONT MILLE SIECLES DÛRANT DANS LES SÔOMBRES ABYÎMMES DE XHNT'HAHNS.
Le monstre se contourna d'écoeurante façon et se jeta sur Kalon qui jusque-là était resté pétrifié de terreur. La bête avait opté pour le barbare car il était plus gros, et surtout il n'était pas emmailloté dans des épaisseurs de tissus poisseux et de métal croquant comme les hommes en avaient la détestable habitude. Ces détails ont leur importance quand on n'a rien mangé depuis cent quarante ans.
Donc le monstre rampa vers sa cible apeurée, s'attendant à une victoire rapide sur un aussi piètre bipède, et sourit intérieurement (car extérieurement, il n'était pas équipé pour) de le voir lancer sur lui sa seule arme, son épée, dans un geste désespéré. Il se dématerialisa, sentit avec délice l'arme lui chatouiller les organes internes (on a les plaisirs qu'on peut) et se rematérialisa pour reprendre son assaut sur le massif primate. Mais un bruit de verre brisé lui rappela un détail horriblement gênant que le goût du sang lui avait fait oublier: le miroir était derrière lui, et il était assez fragile.
Melgo vit le monstre s'agiter, changer de forme, une multitude d'éphémères bubons couvrirent sa peau noirâtre avant de crever en autant de gerbes de pus, de liquides organiques divers et de gaz multicolores tout en émettant des sons suraigus à vous vriller la glande pinéale. Le voleur crut d'abord à une ultime manifestation de puissance de la créature avant l'assaut final, mais lorsque l'atroce hurlement décrut, il dut se rendre à l'évidence: la chose, sans son miroir, agonisait.
Ce n'est qu'après plusieurs minutes, lorsque la bête se fut tue à jamais et que les restes racornis de son corps ne furent plus qu'une tache aplatie sur le sol tout juste agitée de petits "Plops" sporadiques, que nos héros se relevèrent, encore passablement hébétés.
- Kalon, puissant guerrier, je loue Xyf mon dieu de t'avoir placé sur ma route et de ne pas avoir fait de moi ton ennemi. Je vois que ta sagesse égale bien ta force. Mais comment as-tu fait pour deviner le point faible de cette créature?
- Ben, euh, je sais pas.
- Et en plus tu es modeste! Je chanterai désormais tes louanges chaque jour que Xyf me prêtera vie et dans toutes les tavernes de l'univers. Béni soit le jour où je t'ai rencontré, mon ami.
Et donc Kalon l'Héborien, fils de Lochnar Torse Velu et de Sémia la Louve, et Melgo de Pthath, fils de deux individus de sexe différent, partagèrent équitablement le trésor du dieu fou qui se montait à sept livres d'or, douze d'argent, huit de cuivre (en monnaies diverses, dont la plupart n'avaient plus cours depuis des siècles), quelques menues pierres précieuses et une épée (que Kalon emporta et appela doctement “ l’exterminatrice ”). Lorsqu'ils sortirent de la tour maléfique, la brume s'était levée et un soleil magnifique éclairait le lac de toute sa force, permettant d'admirer un paysage de toute beauté. Ils empruntèrent la barque de Melgo, qui était amarrée au nord de l'île et ils prirent la direction de la Sellygie pour y faire ripaille et y quérir la bagarre. Ainsi se termine la première aventure de Kalon. Mais...

KALON WILL BE BACK SOON IN:
KALON ET LA SORCIERE SOMBRE






























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Kalon et la sorcière sombre

Une affligeante nouvelle
d'héroic fantasy

I ) Ou l'on raconte brièvement ce qui s'est produit depuis le dernier épisode :

Kalon, le géant Héborien à l'intellect chenu, et Melgo, le voleur Pthaths à la douteuse généalogie, avaient quitté sans regrets l'île maudite de Lowyn et la sinistre tour du Dieu Fou, riches d'expérience et d'une petite fortune qu'ils se faisaient forts de dépenser à Galdamas, cité marchande d'importance douteuse au sud du petit royaume de Sellygie. La Sellygie était alors un pays à moitié civilisé, où les coutumes commerçantes des méridionaux avaient certes cours, mais depuis peu de temps, si bien que les autochtones n'en avaient pas forcément intégré toutes les subtilités. Le baron de Galdamas, qui ne rentrera certes pas dans l'histoire comme un des grands théoriciens de l'économie moderne, avait par exemple une notion assez personnelle de la propriété privée, qui pouvait s'énoncer comme suit : est ma propriété privée tout ce qui rentre dans les murs de ma cité et qui a plus de valeur qu'une brouette de fumier. La puissance de cette théorie avait frappé nos héros, par le truchement il est vrai des neuf gaillards bien bâtis formant la garde personnelle du Baron, et ils ne s'étaient sortis de ce mauvais pas que grâce à leur habileté à l'épée, l'esquive et la course. Ils avaient pu sauver de cette piteuse aventure une douzaine de pièces d'or cousues dans le revers de la cape de Melgo, des vêtements neufs achetés par Kalon, l'excellente épée trouvée dans la Tour du Dieu Fou - que l’Héborien se piquait d’appeler “ l’écorcheuse ” - et deux petits chevaux des steppes volés dans les écuries du Baron. Prenant alors la direction du sud-ouest, descendant le long du puissant fleuve Argatha, ils traversèrent les tristes prairies de Bane, Lasmes, Aliskos et autres minuscules royaumes guerriers dont la pauvreté n'attira guère nos ambitieux voleurs, et après un mois de voyage et de menus larcins, que la honte et l’intérêt du récit m'interdisent de vous narrer, ils arrivèrent en vue d'Achs.

ii ) Où l'on découvre Achs la puissante, porte du Septentrion, et où l'on se livre à diverses considérations sur l’infrastructure hôtelière :

C'était, et de fort loin, la plus grande ville que Kalon ait jamais vu. Il fit son possible pour ne pas paraître impressionné aux yeux de son camarade, mais y parvint assez mal. Il est vrai que Melgo lui-même, bien qu'élevé dans les prodigieuses métropoles de Pthath, ne put qu'admirer la puissance de la double enceinte, des mille tours crénelées et des innombrables pals en bois de sapin - parmi lesquels beaucoup étaient garnis - qui avaient fait fuir plus d'un conquérant et plus d'un pillard. De petites maisons de pierres massives aux toits d'ardoise lourde se blottissaient frileusement les unes contre les autres, ne laissant que peu de place aux vents de ce début d'hiver pour s'engouffrer en hurlant dans les ruelles tortueuses. Achs ne semblait donc guère accueillante pour les étrangers, c'est pourtant le commerce qui avait fait sa fortune, vins, huiles, épices et draperies remontaient des royaumes bordant la mer Kaltienne et s'échangeaient ici contre l'or, les pierres, les chevaux et les esclaves venus des sauvages contrées septentrionales. D'ailleurs, malgré l'heure tardive, on voyait encore de nombreuses caravanes arriver de la plaine et faire la queue devant les octrois, croisées par les charrettes de quelques paysans des alentours s'en retournant à leur campagne après avoir vendu le fruit de leur travail le matin et s'être copieusement avinés l'après-midi.
Il faisait presque nuit quand ils arrivèrent aux faubourgs boueux d'Achs, et bien que les portes fussent encore ouvertes, nos compères décidèrent d'attendre le lendemain pour faire leur entrée dans la ville, préférant coucher dans une petite auberge qui ne payait guère de mine, mais ou ils pourraient sans doute glaner quelques renseignements sur les usages d'Achs, les personnages influents, les fortunes à piller et les employeurs potentiels. Lorsque Kalon poussa la porte du “ cochon noir ”, la musique langoureuse d’un joueur de zmol - un compromis entre biniou et flûte de Pan - et les senteurs enivrantes des étranges herbes à fumer venues des lointains pays Balnais l’assaillirent en même temps qu’elles renseignaient Melgo sur le type d’auberge dont il s’agissait.
Car apprenez que dans tout l’univers il n’existe que trois catégories d’auberges, classées selon la clientèle qui les fréquente et les services qui y sont fournis.
- L’auberge de catégorie 1 est un lieu de passage essentiellement utilisé par des marchands de petite et moyenne extraction. La nourriture y est passable, voire bonne, les lits infestés de punaises et d’autres clients arrivés avant vous, les prix y sont raisonnables. La seule distraction proposée par ce genre d’établissement est la fille de l’aubergiste, invariablement gironde et peu farouche. Le tenancier est quant à lui, en toutes circonstances et quel que soit son sexe, un individu gras, rougeaud, souvent moustachu, qui passe la quasi-totalité de ses journées à essuyer le même verre avec le même torchon, activité incommensurablement ennuyeuse qui explique qu’il ne se fasse jamais prier pour discuter avec le voyageur.
- L’auberge de catégorie 2, aussi appelée “ bouge ” ou “ repaire ”, se reconnaît à sa localisation - toujours perdue dans le quartier le plus glauque de la ville, au fin fond d’une ruelle sombrissime, comme si le patron souhaitait avoir le moins possible de clients - et à son nom . L’aubergiste est presque toujours de sexe masculin, célibataire, borgne et d’une carrure impressionnante. La clientèle se divise en trois catégories, qui sont les repris de justice, les futurs repris de justice et les évadés. Des distractions variées sont proposées, telles que se battre, regarder les étrangers d’un oeil torve, se bastonner, fomenter des mauvais coups dans l’arrière boutique, s’affronter en duels qui dégénèrent, échanger à mi-voix des propos sibyllins, chercher ses dents sous les table. L’hygiène n’étant pas excellente, on peut facilement y attraper des maladies telles que le poignard dans le dos. Le vocabulaire scatologique ne manque pas de mots permettant de décrire assez justement la qualité des mets et boissons servis dans ces établissements.
- L’auberge de catégorie 3 se distingue par le fait qu’elle fournit, outre le gîte et le couvert, des prestations annexes. Les plaisirs du palais n’étant pas forcément la préoccupation première des clients, on constate que la qualité de la cuisine n’est que rarement en rapport avec les impressionnants tarifs pratiqués. Les prestations annexes consistent en musique plus ou moins fine, consommation de substances plus ou moins légales et surtout ces endroits fournissent à leurs clients une (ou plusieurs) agréable compagnie(s) ainsi que diverses commodités et accessoires. Dans le prix des services en question est toujours comprise une obole à l’association de secours charitable aux orphelins de la milice locale.
Donc la musique, le parfum, la riche mise des clients et la plastique des serveuses - Kalon nota à ce sujet que la direction avait fait l’économie d’uniformes - indiquèrent à Melgo qu’il se trouvait dans une auberge de catégorie 3, ce qui l'étonna quelque peu vu l'aspect extérieur du bâtiment. Des dizaines de regards inquiets se tournèrent simultanément vers les voyageurs, qui entrèrent quand même et se dirigèrent vers une table libre un peu à l'écart. Les conversations reprirent. Un individu de petite taille, chauve et d'âge assez avancé s'approcha d'eux. Il portait des braies rayées, une chemise jaune et un tablier blanc indiquant sa fonction.
- Bonsoir, mes seigneurs, vous désirez?
- Pour moi, une chope de ton meilleur hydromel, l'ami, une soupe aux poireaux et une belle platée de ragoût de mouton. Quelle belle auberge tu as là, bien qu'elle soit au dehors de la ville, je vois que la clientèle n’y manque pas.
- En effet monsieur, et votre ami, que prendra-t-il?
- Bière, cochon, grogna l'Héborien d'un air sombre, car il avait tant chevauché que ses arrières le faisaient souffrir, ce qui le mettait de méchante humeur.
- Et deux chambres donnant sur la route, reprit Melgo. Puis à mi-voix : Dites-moi mon bon, j'ai cru remarquer, enfin, je comprend plus ou moins qu'on trouve ici, comment dire... des femmes vénales.
- Certes, monsieur, à mon grand dam, mais je n'ai pas le coeur de les chasser de ma maison, car il fait froid en cette saison et les routes sont peu sûres. Prablop notre Seigneur n’enseigne-t-il pas que l’hospitalité est grande vertu?
- Sans doute, sans doute, mais est-ce autorisé par les lois d'Achs?
- Certes non, je risque une forte amende (l'aubergiste présentait de nets signes de nervosité). Quoique mon établissement ne soit pas tout à fait à l'intérieur d'Achs, vous noterez.
- Et vous n'avez pas peur que la milice?
- Vous voyez ce gros homme entre Karyn et Dothy?
- Oui.
- C'est le chef de la milice du quartier.

III ) Ou l'aventure appelle nos héros, DE FAçON PEU ORIGINALE D'AILLEURS :

Effectivement, un individu entre deux âges, assez salement vêtu, que l'on aurait pu qualifier de "gros porc" sans trop insulter la race porcine faisait preuve d'une remarquable conscience professionnelle en inspectant , même à cette heure tardive, les moindres recoins de cet établissement suspect et de son personnel. L'aubergiste profita de ce que Melgo observait rêveusement le zélé fonctionnaire pour s'esquiver en cuisine. Le chef de la milice quant à lui considéra les nouveaux arrivants avec suspicion, puis les salua poliment en soulevant sa choppe en leur honneur, ce à quoi Melgo répondit de même. Il souleva péniblement son poids considérable et fluctua jusqu'à la table de nos compères avant de s'affaler devant eux. Son haleine était en rapport avec sa mise.
- Bonsoir messieurs, je ne crois pas vous avoir déjà vu dans cet établissement, je me trompe?
- Non, répondit Melgo, quelque peu étonné de la bonhomie du personnage, nous venons d'arriver dans votre belle région. Mon collègue Héborien et moi-même sommes des mercenaires itinérants à la recherche d'un emploi stable, cependant votre ville m'a l'air fort paisible et donc peu propice à l'exercice de notre profession.
- Si fait, si fait, fit le milicien sans chercher à dissimuler son contentement à entendre son travail ainsi apprécié par des gens de l’art. Il fit signe à l'aubergiste : Eh toi, une bouteille de ton meilleur hydromel sur mon compte pour ces joyeux gaillards. Puis se penchant derechef vers les deux amis : Vous comptez loger ici ce soir, j'ai entendu, attendez-moi ici, j'aurais peut-être un travail pour vous.
Puis l'imposant individu se leva et repartit dans la direction de la porte qu'il réussit à franchir au troisième essai.
Kalon et Melgo se regardèrent un instant en silence, hésitant entre fuir à toutes jambes un probable piège et se réjouir bruyamment à grands renforts de chansons paillardes et de femmes légères. Kalon opta pour la seconde solution, Melgo lui emboîta le pas.

*
* *
Nos deux aventuriers étaient déjà passablement émus par une heure et demie de libations en l'honneur de Bâan, le dieu du vin, quand une forme grise, plutôt maigre et se déplaçant lentement se glissa dans l'auberge. L'homme était vêtu d'un de ces longs manteaux à capuchons que l'on trouvait dans toutes les villes civilisées sur le dos des gens qui ne veulent pas qu'on les reconnaissent. Il s'assit donc à la table des compères qui, après quelques secondes, le remarquèrent et chassèrent les jeunes prostituées qui encombraient leurs genoux. Bien qu'ils ne pussent pas voir son visage dans l'obscurité de son capuchon, le peu de vigueur de ses mouvements ainsi que sa voix basse et éraillée trahissaient les premières atteintes de l'âge.
- Ainsi on me dit que vous cherchez à louer votre épée.
- Ouais, grogna Kalon.
- Noble seigneur, vous avez devant vous Kalon, des rudes steppes d'Héboria, le Fléau des neiges, le Seigneur des Ruines, celui dont le nom fait trembler jusqu’aux terribles Tribus Masquées de Blov, celui dont la lame jamais ne tremble ni ne faillit, quand à moi je suis Melgo, le fils de Pthath, dont la ruse et l'adresse sont chantées et craintes dans toutes les cours de l'univers. Nous sommes inséparables depuis qu'ensemble nous avons ouvert les trois Portes des Amitiés Animales et que nous avons vaincu les maléfices sans noms du Dieu Fou. Ainsi frères à la fête comme à la bataille, nous chevauchons côte à côte sur le chemin de notre destin, riant de la mort, de la souffrance et ...
- Ah, fit sombrement l'inconnu, que le verbiage de Melgo n'intéressait pas spécialement. Vous plairait-il de gagner chacun cinquante foirons d'or en une nuit de travail?
- Nous ne nous déplacerons pas à moins de cinq foirons chacun.
- Je vous en ai proposé cinquante.
- ... fit Melgo.
- ... fit Kalon.
- Cinquante foirons?
- Oui.
- D'or?
- Oui.
- Chacun?
- C'est bien cela.
- Et il faut tuer qui?
- Personne, c'est une mission qui présente des risques, c'est pourquoi il me faut des gens pour m'accompagner, mais il n'est pas question ici de meurtre.
Kalon et Melgo se regardèrent avec de grands yeux, puis échangèrent un sourire. Le voleur reprit.
- Votre offre est intéressante, l'ami, nous sommes vos hommes, de quoi s'agit-il?
- Voici l'affaire : ce matin, un sorcier du nom de Villader, qui terrorisait Achs toute entière depuis des années, est mort dans sa villa des quartiers ouest. Une grande partie de ses pouvoirs démoniaques lui venaient de son livre de sorts, dans lequel il avait emprisonné de terribles pouvoirs. Sa fille et héritière, Sook, la mystérieuse sorcière sombre, ne doit à aucun prix s'emparer du livre, sans quoi elle poursuivra l'oeuvre de son père et étendra son empire de terreur sur Achs tout d'abord, sur le monde ensuite. C'est pourquoi le conseil capitiulaire d'Achs m'a chargé moi, conseiller Saboun, de pénétrer dans la maison en question, et de détruire le livre. L'heure est grave mes amis, et je fais appel à votre civisme autant qu'à votre envie de gagner rapidement beaucoup d'argent. Les portes sont fermées à cette heure, mais je connais une poterne qui donne vers un souterrain.
- On y va tout de suite?
- Nous n'avons pas de temps à perdre.
Nos amis opinèrent, les trois hommes se redressèrent, quoique péniblement pour deux d'entre eux, et sortirent dans la nuit la plus noire d'un pas décidé.
Ils quittèrent la route et se dirigèrent vers les remparts, visibles grâce aux lanternes des soldats qui montaient la garde et qui décrivaient comme un lent ballet de lucioles entre les créneaux. En silence, ils descendirent dans une ravine qui avait dû être une douve et progressèrent en se collant contre le mur. Bientôt ils arrivèrent à un décrochement derrière lequel, effectivement, ils trouvèrent une minuscule porte de bois aux planches si usées que les coins en étaient arrondis. Le vieil homme actionna un verrou secret et poussa le battant avec difficulté, laissa passer ses deux hommes de main, referma soigneusement, puis il ramassa par terre une lanterne qu'il alluma. Ils avancèrent ainsi dans un boyau étroit, probablement plus ancien que les murailles elles-mêmes, dont le fond était plein d'eau boueuse sur une quinzaine de centimètres environ. Pas un mot ne fut échangé, ce qui permit à l'instinct embrumé de Melgo de prendre vaguement conscience que quelque chose clochait dans l'histoire du conseiller, mais il était bien trop saoul pour s'en alarmer. Ils débouchèrent dans un des quartiers les plus pauvres d'Achs, c'est du moins ce que leurs odorats leur apprirent. La lanterne éclairait sinistrement des façades de torchis grossier, aux géométries approximatives, derrière lesquelles le petit peuple de la cité dormait du sommeil du mouton imbécile heureux de se faire tondre.
Kalon et Melgo avaient entendu parler d'Achs bien avant d'y arriver et avaient une bonne idée du système politique qui y avait cours : le clergé monothéiste de Prablop, le dieu local, régnait en maître sur la cité, interdisant que ses citoyens pratiquent un autre culte. Cependant les prêtre avaient intelligemment laissé certains pouvoirs à l'ancienne oligarchie qui gouvernait Achs de toute éternité, et qui était réunie en conseil capitulaire. Ce système permettait de ne pas trop effrayer les riches marchands qui faisaient la puissance de la cité, tout en maîtrisant la perspective d'une insurrection populaire qui, si elle éclatait, serait facilement détournée contre les bourgeois au plus grand profit de l'Eglise d'Or de la Résurrection et de la Foi Indéfectible en Prablop Notre Seigneur Tout Puissant. Inutile de préciser que bien sûr, le petit peuple vivait dans des conditions misérables, ce qui renforçait d'autant l'attrait de la religion. Tout cela était d'une logique qu’on ne peut qu’admirer.
Mais je parle, je parle, et pendant ce temps nos héros arrivent dans le riche quartier de Palsiflorge, et en particulier devant l'élégante propriété de Villader.

IV ) Ou l'on découvre les dangers de la botanique :

C'était un bâtiment étrange, à nul autre pareil dans toute la cité, plus haut que large, aux fenêtres nombreuses et étroites. Le rez-de-chaussée était de pierres taillées et assemblées avec une précision extraordinaire sans que l'on puisse voir de ciment entre elles, tandis que les étages étaient entièrement de planches de bois peintes et disposées en quinconce, rappelant la peau écailleuse d'un dragon. Les toits, dont on ne pouvait ce soir là deviner la matière, lançaient leurs pointes noires et acérées à l’assaut des nuages éclairés par la Lune, qui s’était levée. La porte de bois brun et luisant de laque s'ornait d'un butoir de cuivre représentant deux vipères enlacées. Sur une plaque, de cuivre toujours, Kalon aurait pu lire : “ Maître Villader de Fench, diplômé de l’université, nécromancie, divination, exorcisme, sur rendez-vous uniquement ”.
- Passons par le jardin, Villader avait empli sa demeure de pièges magiques et je ne doute pas que sa porte d'entrée ai fait l'objet de toutes ses attentions.
Melgo contesta d’autant moins cette assertion qu’il lui sembla deviner une lueur de gourmandise dans l’oeil doré d’une des vipères. Saboun éteignit la lanterne pendant qu’ils contournaient le mur d’enceinte. A la faible lueur d'une Lune finissante, Kalon s'adossa au mur, fit la courte échelle à Melgo et le propulsa de l'autre côté. Après une dizaine de secondes, le voleur invita Saboun à le suivre par le même chemin, puis ce fut au tour de Kalon lui-même. Le jardin était mal entretenu, des arbres rabougris, semés là sans ordre apparent, jetaient au dessus des trois pillards comme une tenture de branchages noircis, tourmentés et emmêlés, et le sol était jonché d'une épaisse couche de ces reliefs végétaux desséchés, ce qui rendait impossible une progression discrète. Kalon ouvrit le chemin, brandissant son Ecorcheuse, suivi de Saboun, puis de Melgo qui fermait la marche. Avec une lenteur calculée, les trois hommes progressèrent vers la forme indistincte de la haute bâtisse, attentifs à la moindre anomalie du sol ou il aurait été si facile de dissimuler une trappe. Kalon murmura :
- Qu'y a-t-il, Saboun?
- Rien, barbare...
- Alors pourquoi t'accroches-tu à moi, as-tu peur?
- Ce n'est pas moi, est-ce toi Melgo?
- Quoi donc?
- Raaagh!
- Parle plus fort Kalon, je ne comprend rien.
- RAAAGH!
- On attaque Kalon, hurla Melgo, dégainant sa rapière.
- Un Beenezi, j'aurais dû m'en douter, un de ces arbres est un Beenezi.
Dominant sa terreur, Melgo courut secourir son ami, en grand danger de se faire étrangler. Le perfide végétal s'était enroulé autour du cou et du torse de Kalon, le soulevant dans ses branches hautes. Le voleur frappa le tronc tortueux de taille et d'estoc, mais comprit bien vite que son arme, fine et légère, conçue pour se glisser entre les plaques d'armure les mieux ajustées, n'était pas un outil de bucheronnage très efficace. Un rai de lune blafard se réfléchit providentiellement sur l'Ecorcheuse, lâchée par Kalon, dont Melgo se saisit juste à temps, alors que déjà des branches meurtrières descendaient pour se poser sur ses épaules. Il tailla rageusement dedans en jurant comme un charretier, maudissant Villader et ses sortilèges, sans se rendre compte que les racines du monstre s'enroulaient autour de ses jambes et remontaient lentement. Lorsqu'il s'en avisa, la terreur l'envahit et il poussa des hurlements désespérés. C'est alors qu'il vit Saboun sortir de sous son manteau une petite outre qu'il déboucha et jeta de toutes ses forces contre le tronc. Le liquide qu'elle contenait se libéra d'un coup, aspergeant le Beenezi, quelques fine gouttes atteignirent même Melgo au bras, qui lui causèrent immédiatement une vive brûlure. Une odeur puissante et nauséabonde emplit soudain l'air, tandis qu'un clapotis émanait du végétal agonisant. Il ne cria pas, se contentant de mourir, rongé par la potion de Saboun, relâchant peu à peu la pression autour des jambes de Melgo. Un bruit mou se fit entendre lorsque Kalon, livré à la gravité, chut par terre. Ses deux compagnons se précipitèrent pour lui porter assistance. Après une minute, il reprit connaissance. Là ou tout autre que lui aurait succombé à l'attaque insidieuse de l'arbre, sa constitution exceptionnelle lui avait sauvé la vie.
Le Beenezi est un arbre carnivore que l'on trouve uniquement dans les jungles noires de Belen, au sud-ouest de l'Empire de Pthath. Cette région est connue pour exporter vers les pays civilisés toutes sortes de plantes et d'animaux intéressants tels que le putois vert, dont les germes tuent en trois jours, le lotus orgastique dont les fragrances sirupeuses ont vite fait de vous transformer le bulbe rachidien en éponge, l'oiseau-poubelle , un minuscule passereau noir et jaune qui tue un buffle d'un simple frôlement de ses plumes empoisonnées, le grand chat mou de Belen qui peut vous dévorer les entrailles pendant que vous lui gratouillez le crâne tant est puissant son pouvoir hypnotique, le pangolin exterminateur et son cri paralysant, le piranha explosif, le hérisson empaleur, la rose d'agonie, le moustique géant, la guêpe mange-cervelle, l'herbe étrangleuse, la ronce étrangleuse, le champignon étrangleur, le bosquet étrangleur, la liane étrangleuse et bien-sûr le Beenezi, ou arbre étrangleur, reconnaissable au monticule de squelettes et de charognes à demi putréfiées qui entoure invariablement son tronc . Ce ne sont là que quelques exemples d'espèces que les indigènes, les redoutables chasseurs Themti, arrivent à capturer sans trop de pertes humaines en bordure de la terrible forêt. Ils ne s'aventurent jamais dans les profondeurs de la jungle, à ce qu'ils disent, car il y a des bêtes dangereuses.
Donc nos amis l'avaient échappé belle. Ils reprirent leur progression, encore plus attentifs cette fois à leur environnement, cherchant à déceler le plus infime signe suspect. Mais il n'y en eut pas, et ils traversèrent sans encombres ce jardin de la mort. Ils entrèrent sous une large tonnelle aux croisillons de bois revêtus de vigne vierge et de lys grimpants qui jouxtait la maison. Là, Saboun désigna un petit banc de pierre blanche, élégamment sculpté de motifs floraux et s'en approcha. Il se pencha, glissa sa main sous le meuble et déclencha quelque loquet qui y était dissimulé. La dalle qui se trouvait juste à coté se souleva d'un demi-centimètre avec un petit déclic caractéristique du passage secret neuf et bien entretenu.
- Ce tunnel secret nous permettra d'éviter certains des pièges de Villader, mais restons sur nos gardes. Je vais allumer ma lanterne.
Ainsi fut fait. Les trois cambrioleurs se glissèrent dans le souterrain. Il s'agissait d'un couloir partant de la maison du sorcier et continuant probablement fort loin sous la ville, si étroit que deux hommes n'auraient pu s'y croiser, les murs, le sol et le plafond étaient des dalles massives miraculeusement ajustées, dont certaines, à la lueur de la lanterne, révélaient des motifs cryptiques, des runes embrouillées, des dessins de créatures disséquées et de monstres d'autres plans, ces ornements étant si érodés par l'humidité ambiante que le sujet en était difficile à deviner. Tant mieux d'ailleurs.
Au bout de quelques dizaines de mètres, le couloir devint un escalier en colimaçon aux marches si usées et glissantes que Melgo crut à un nouveau piège de Villader (mais ce n'était que le résultat d'un mauvais entretien). Kalon arriva en bas le premier, dans un fracas de cotte de maille et d'épée, suivi du prudent Saboun et de Melgo, qui commençait à se dégriser. Le couloir se termina en cul-de-sac, Saboun descella une certaine pierre à hauteur de son genou et de nouveau actionna un mécanisme. Le mur bascula vers l'avant sans le moindre bruit. La petite troupe dut se baisser pour passer dessous et accéder à un large couloir bien éclairé par des torches fixées dans le mur.
- Ce sont des torches magiques, elles ne s'éteignent jamais, précisa Saboun.
- Vous êtes bien informé, noble Saboun, comment savez-vous tout ceci ?
- Le conseil a ses espions. Permettez-moi de protéger leur anonymat.
Sur la pointe des pieds, les trois hommes avancèrent dans le couloir dont les murs s'ornaient de fines tentures figurant de délicieuses scènes champêtres. Sans doute Villader était-il un esthète. Kalon, qui ouvrait la marche, fit signe à ses compagnons de s'arrêter et de faire silence. Après quelques secondes, il désigna une hideuse statue de quelque démon qui fermait le couloir. Provenant de la bouche ouverte de celui-ci, la rumeur lointaine d'une conversation était parvenue à ses oreilles d'homme de la nature aiguisées par des années de chasse et de guerre.
- Je crois comprendre, murmura Saboun, un conduit de fonte doit courir dans la maison, nous portant les sons provenant d'une autre pièce. Nous ne sommes pas seuls ici, faisons vite.
Le vieil homme sortit de son vêtement un petit ustensile aux formes compliquées dans lequel on pouvait, avec de l'imagination, reconnaître une clé. Il l'introduisit dans le nombril de la statue, avec lequel elle s'adaptait parfaitement, et la tourna. La statue pivota, ouvrant le passage vers une crypte inquiétante.

V ) OU L'ON SE REND COMPTE QUE LA MORT N'EST QU'ILLUSION, MAIS PAS FORCéMENT.

La haute salle soutenue par deux rangées de piliers carrés aux chapiteaux ornés de glyphes cabalistiques était baignée d'une lueur rouge d'origine inconnue, dont un observateur attentif aurait pu se convaincre qu'elle pulsait faiblement au rythme d'un coeur humain. Le sol était encombré d'un indescriptible capharnaüm de meubles, planches, coffres, ustensiles de cuisine et outils de diverses professions, vases et poteries parfois ébréchées, et autres objets de valeurs variables entassés en dépit du bon sens, sans doute pour faire croire à un pilleur de tombes néophyte que l'endroit avait déjà été visité par un collègue (bien qu'en réalité, la ruse fut connue de tout voleur sachant un peu son affaire). Sur la gauche, la pièce s'enfonçait en pente douce sur une vingtaine de pas jusqu'à une alcôve creusée dans la pierre et occupée par un large autel d'obsidienne, ou d'une autre pierre aux reflets laiteux, qui soutenait un lourd sarcophage de bois doré et richement décoré. Les murs et le plafond disparaissaient sous des fresques et des tentures représentant des animaux, des fleurs, et diverses scènes évoquant le passage de la vie à la mort, la vanité des biens terrestres et autres fadaises. Melgo reconnut avec nostalgie dans le décor de cette chambre mortuaire des motifs qui lui étaient familiers, et qui ne pouvaient provenir que de la prodigieuse culture du millénaire Empire de Pthath. Il reconnut aussi avec un enthousiasme plus modéré l'écriture secrète des très redoutables sectes sorcières qui furent des siècles durant le fléau de son pays natal. Par contre il ne reconnut pas les quatre hommes qui avaient fait irruption dans la crypte en même temps qu'eux




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