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"L’ÉCUREUIL ZOMBIE DE LA MORT
– Zombie Wolf, trad. Roland Mas
Je n’aurais jamais imaginé que rouler pépère à moto dans une quartier résidentiel puisse être aussi dangereux. Mais bon, j’aurais jamais pu me douter de ce qui allait m’arriver.
J’étais sur Brice Street, un joli quartier, magnifiques pelouses, pas grand’monde sur la route. Une voiture arrive en face, on se croise, et de derrière en surgit un espèce de missile poilu qui s’arrête net, pile en face de moi.
Bon, c’était un écureuil, et il essayait probablement de traverser quand il a été surpris par la voiture. J’allais pas vite, sérieux, mais là y’avait carrément pas le temps de freiner ou de l’éviter. Il avait vraiment calculé son coup au plus près. J’aime pas écraser les petites bêtes, surtout en moto, j’ai horreur de ça, mais là j’avais pas le choix et un écureuil c’est moins risqué qu’un cerf.
J’ai tout juste eu le temps de me préparer à la secousse. Messieurs les défenseurs des animaux, soyez sans crainte, les écureuils sont parfaitement capables de se défendre tous seuls.
Impact moins un quart de seconde. L’écureuil s’est dressé sur ses pattes arrière, et s’est mis à regarder ma Valkyrie dans les yeux, avec la ferme intention de lui faire baisser le regard. Des tous petits yeux, mais une détermination d’acier.
Sa bouche s’est ouverte, et au tout dernier moment, il a poussé un cri, et sauté.
Je suis convaincu qu’en écureuil, son cri voulait dire « Banzai ! », ou peut-être « Meurs, sale vermine pourrie ! ». Quant au saut… Spectaculaire, y’a pas d’autre mot.
Il a décollé à la verticale, est passé par-dessus mon saute-vent, et est arrivé sur mon torse, où il s’est immédiatement mis à me lacérer de coups de griffes. Si je ne l’avais pas vu, j’aurais juré qu’il était venu avec tous ses potes. Et leurs potes à eux.
Mes habits ont commencé à se faire déchiqueter par un tourbillon de poils, de sifflements et de grognements. Comme j’avais juste un T-shirt, des gants d’été et un jean, vous imaginez les effets qu’il pouvait avoir.
Bon. Imaginez un gros motard sur un énorme custom noir et chromé, vêtu d’un jean, d’un T-shirt, et d’une paire de gants de cuir. Un gros motard qui roule tranquillement entre les pelouses. Un gros motard qui se bat à mort avec un écureuil.
Et qui perd.
J’ai essayé de l’attraper de la main gauche. Ça m’a pris plusieurs tentatives, mais j’ai finalement réussi à lui choper la queue, et à le jeter de toutes mes forces sur la gauche. Failli me mettre dans le trottoir de droite, rien qu’avec le recul, mais bon, normalement c’était fini et on n’en parlait plus.
Normalement. Normalement, l’écureuil aurait atterri quelque part sur une de ces pelouses, et serait retourné mener sa vie d’écureuil. Et je serais rentré chez moi, et ça n’aurait rien changé au cours du monde. Sauf que. Sauf que ce n’était pas un écureuil normal, c’était un ÉCUREUIL MUTANT D’ATTAQUE DES ARMÉES MAUDITES DE LA MORT !
Je sais pas comment, mais il a réussi à s’aggripper à un doigt de mon gant, à se transformer en fronde, pour profiter de l’impulsion que je lui avais donnée et retomber sur mon dos, avec pour premiers effets un joli bruit et un puissant impact. Après quoi il s’est promptement remis à ses activités quelque peu antisociales (et particulièrement désagréables de mon point de vue). Ah, j’oubliais, il avait même réussi à me piquer mon gant gauche. Globalement, la situation ne s’améliorait pas vraiment. Pas vraiment du tout, même.
Non seulement il continuait à me labourer le torse, mais en plus cette fois il était hors d’atteinte. C’est là que j’ai commencé à réaliser que la situation m’échappait (et c’est rien de le dire). Les effets du recul dû à mon lancer d’écureuil, de l’impact de celui-ci sur mon dos, et du fait que je n’avais plus qu’une main sur le guidon (la droite, si vous avez suivi – en d’autres termes, la main des GAZ) se sont malencontreusement combinés en une seule conséquence, un mouvement rotatif de ma main droite sur la poignée. En temps normal, on appelle ça « un sain essorage », et ça ne peut avoir qu’un seul effet. Bah là, j’ai pas eu le temps d’appeler ça quoi que ce soit, mais l’effet, lui, était là. Du couple, ça s’appelle.
Le moteur a vrombi, et la roue avant a décollé.
L’écureuil a hurlé de colère.
La moto a rugi de plaisir.
Quant à moi… Contentons-nous de dire que j’ai crié.
Bon. Imaginez un gros motard sur un énorme custom noir et chromé, vêtu d’un jean, d’un T-shirt (qui commençe à montrer d’évidents signes de lacérations écureuillesques) et d’un unique gant en cuir, à 80 km/h mais en pleine accélération, donc dans un boucan d’enfer (au milieu d’un quartier tranquille, ne l’oublions pas), sur une roue, et avec un écureuil zombie des enfers sur le dos.
Le motard et l’écureuil ne pensent qu’à s’entretuer sauvagement, ce qu’on perçoit aisément dans leurs hurlements. Pour essayer de contrôler la moto (toujours en pleine accélération), j’ai été forcé de remettre la main gauche sur le guidon. Ça laissait une totale liberté d’action à l’écureuil mutant, mais j’avais vraiment pas envie de me bourrer dans un arbre, ou une maison, ou une de ces voitures négligemment garées dans la rue. Accessoirement, je crois que mon cerveau était un peu submergé, et je n’ai pas eu la présence d’esprit de relâcher la poignée des gaz. Dans un éclair de génie (bon, disons une étincelle), j’ai quand même écrasé le frein arrière, mais ça n’a pas eu beaucoup d’effet (je vous ai dit que c’était une grosse moto).
À peu près à cette époque, l’écureuil s’est senti délaissé, il a cru que je m’intéressais moins à lui et à cette bagarre qui comptait beaucoup pour lui (peut-être que c’était un écureuil d’attaque de la mort NAZI), et il a décidé de se rappeler à mon bon souvenir : il a fait le tour, et il est rentré dans mon casque (oui, intégral), à l’intérieur duquel nous nous sommes donc retrouvés à deux.
Il a à moitié refermé la visière derrière lui, comme un écureuil bien élevé mais pressé, et a commencé à me siffler dans le nez. Je crois bien que mes hurlements ont redoublé, mais ça n’a pas semblé l’impressionner. Le Dragon a fini par atteindre la limite de ses tours (j’avais oublié de changer de vitesse, je devais avoir l’esprit ailleurs), et a donc commencé à redescendre vers l’horizontale.
Bon. Imaginez un gros motard sur un énorme custom noir et chromé, vêtu d’un jean, de quelques lambeaux de T-shirt et d’un unique gant en cuir, à 150 km/h, toujours dans un boucan d’enfer, toujours sur une roue, avec une jolie queue d’écureuil bien touffue qui lui sort du casque par la visière entrouverte. Les hurlements commencent à être un peu enroués, mais ils jouent vaillament leur rôle sur la bande-son.
J’ai fini par regagner l’avantage. J’ai de nouveau réussi à lui attraper la queue, le l’ai l’extirpé de mon casque, et je l’ai de nouveau balancé avec tout ce qui me restait de force, de nouveau vers la gauche. Cette fois-ci, ça a à peu près marché. Enfin, quand je dis « à peu près »…
Imaginez maintenant… autre chose. Vous êtes un policier, vous et votre coéquipier vous êtes arrêtés dans une rue tranquille pour faire un peu de paperasses dans la voiture de patrouille, en prenant l’air par les fenêtres ouvertes. Soudain déboule un gros motard sur un énorme engin noir et chrome, vêtu d’un jean, de quelques restes de T-shirt qui flottent au vent et d’un unique gant en cuir, à 150 km/h sur une roue, dans un fracas infernal de moteur poussé à fond et de hurlements sanguinaires. Et il vous jette une écuro-grenade dégoupillée dans la voiture.
J’ai entendu des hurlements.
Pour changer, c’était pas moi.
J’ai fini par regagner le contrôle de ma grosse moto, la remettre sur ses deux roues, et entamer le freinage d’urgence le plus urgent de ma vie. J’ai réussi à m’arrêter juste avant l’intersection avec la grande avenue, dans un nuage de gomme brûlée. Je serais presque retourné m’expliquer (récupérer mon gant, aussi). Sans déconner, j’y suis presque allé. Sauf deux trucs.
D’abord, les flics n’avaient pas particulièrement l’air intéressés par ma personne à ce moment-là. Quand je me suis retourné, les portes de la voiture avaient été ouvertes en grand, visiblement violemment. Le flic du côté passager était par terre, sur son dos, et il rampait dans un jardin, en s’éloignant le plus vite possible de sa voiture. L’autre flic, côté conducteur, était dans la rue, et braquait son fusil anti-émeute sur sa propre voiture de patrouille.
J’en ai déduit que je ne les intéressais pas. De toute façon, c’est souvent eux qui demandent aux gens de « laisser faire les pros ».
Ça fait un truc. Et l’autre ?
Eh bien, même de là où j’étais, on pouvait clairement voir la banquette arrière se transformer en une tornade de lambeaux déchiquetés qui volaient dans tous les sens. Mais surtout, je pourrais jurer que j’ai vu l’écureuil par la lunette arrière, et qu’il me menaçait de son petit poing rageur. Un écureuil dangereux. Et en liberté. Et maintenant, il avait une voiture. Bon, le siège arrière était un peu déchiré, certes, mais c’était sa voiture, et personne ne l’aurait contesté à cet instant précis.
J’ai respiré à fond, j’ai allumé mon clignotant, j’ai doucement tourné à droite en sortant de Brice Street, et j’ai tranquillement quitté le quartier. Je me suis dit que le mieux était encore de me racheter une paire de gants. Et quelques centaines de sparadraps. "
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