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La scène se passe sur un tronçon d'autoroute coupant un désert brûlé par le soleil, comme on en voit tant du côté de Vegas, entre une voiture décapotable couverte de poussière et un gros camion.
Les haut-parleurs de la stéréo tremblent sous les basses d'un morceau de rap klingon. Un sourire crispé aux lèvres et les yeux plissés derrière des lunettes teintées, Bond tente de maintenir la décapotable lancée à cent quatre-vingt kilomètres par heure sur une trajectoire rectiligne.
Appuyé sens devant-derrière contre le siège passager, les pieds posés sur la banquette arrière, le Comte épaule un fusil anti-blindage russe dont le canon, long de deux bons mètres, est appuyé sur la plage arrière de la voiture. Des mèches détachées de son catogan dansent devant ses yeux. La décapotable sursaute au-dessus d'un nid-de-poule, et il se souvient d'une séance de chasse avec son père. Il se convainc qu'un canon antichar d'un calibre de 14,5 mm n'est pas différent d'un fusil à air comprimé, retient sa respiration, et presse la détente.
Quatre-vingt quatorze mètres derrière la voiture, sur la même route, un camion de seize tonnes tracte une benne remplie de pandas nains enragés. Dans la cabine, une imposante masse d'homme au crâne rasé aimerait se débarrasser de la poubelle roulante qui lui barre le passage en zig-zaguant, quitte à lui rouler dessus. Il se demande brièvement s'il a bien rangé les hamburgers dans le réfrigérateur, regarde son compteur de vitesse, remarque un truc sur la banquette arrière des deux emmerdeurs, puis ne pense plus à rien.
La force d'impact du projectile long de presque cinq centimètres fait voler le pare-brise de la cabine en éclat. La balle perce-blindage macule la cabine de sang, de matière cervicale et de morceaux d'os au passage, traverse la cloison arrière, passe à travers le sarcophage installé à l'arrière de la cabine, dans lequel les routiers - qui n'ont pas un métier facile - dorment parfois quelques heures, pénètre l'acier de la benne, se creuse un passage à travers huit pandas en phase terminale d'un virus particulièrement spécialisé et arrête sa course dans le pancréas d'un neuvième, le destinant à une mort certaine après plusieurs minutes douloureuses.
Au même moment, la décapotable part à gauche sous l'effet du recul, le canon se lève en fumant avant de basculer par dessus bord, et le Comte hurle. Bond, dont les oreilles vibrent encore à cause de la détonation, essaye de rétablir la course de la voiture puis, par dépit, tire le frein à main.
Le camion, laissé sans conducteur à une vitesse déconseillée aux véhicules lourds, part à gauche, à droite, puis verse et se traîne en travers de la route, emporté par son inertie, en arrachant derrière lui plusieurs plaques de bitume. Il s'immobilise après trois cents mètres dans un cri de dinosaure agonisant.
La décapotable tourne plusieurs fois sur elle-même dans une odeur de poudre à canon et de pneu brûlé, puis s'arrête. Bond lâche lentement le volant, détend sa mâchoire et lève les yeux vers le camion couché sur le flanc qui brûle en face de lui. Il coupe le contact.
"Tu me diras encore que tu ne sais pas tirer...
-Bordel de merde! Je crois que je me suis foutu l'épaule en l'air!
-J'ai presque de la peine pour le pauvre bougre. Du travail de tireur d'élite."
Avec un certain sens de l'à -propos, le réservoir du camion explose.
Bond regarde la carcasse flamber. Les flammes s'étendent sur la cage d'acier de la cabine et dans le squelette de la benne. On peut deviner, au coeur du foyer, de petites formes qui s'agitent chaotiquement avant de s'immobiliser les unes sur les autres. Une odeur de viande brûlée et une fumée noire épaisse s'élèvent du charnier où ont été immolés au nom de la science un petit millier d'animaux protégés.
Bond se retourne vers le Comte. Ce dernier a les larmes aux yeux, serre les dents et s'étreint l'épaule droite. Ce qui pourrait émouvoir, s'il n'était pas assis à même le sol de la voiture, les jambes par-dessus tête. Il regarde Bond du coin de l'oeil avec une moue de reproche.
"J'avais visé un pneu". |