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Petite réflexion sur les ninja* (rapport à l'article dans breaking news).
Contexte personnel. Je suis né en 78**, j'ai donc été pris dans la vague ninja. A la télé, pour moi, ça a commencé avec un épisode mythique des Thundercats (Cosmocats sur Antenne 2) dans lequel Mumrah (l'Eternel Vivant) invoque tout d'abord un Samurai pour pêter la gueule à Starlion. Malheureusement, le Samurai se rend compte que Starlion est aussi honorable que lui et les deux font alliance. Mumrah n'en reste pas là et décide alors d'invoquer un Ninja, puisque ceux-ci n'ont pas d'honneur.
Je ne me souviens plus si le Samurai fait alliance avec Starlion pour pêter la gueule au Ninja ou si Mumrah est short en cash.
Ensuite, bah, GI Joe, American Ninja, ce genre de choses.
A douze ans, je dois composer un dossier de classe pour une présentation sur l'estrade. Je choisis comme sujet les Ninja. Le professeur me suggère de faire plutôt mon dossier sur les Samurai, parce que "les Ninja ça n'existe pas vraiment".
Cette phrase a non seulement reconsidéré mon rapport aux Ninja, mais aussi à la fiction en général. C'est bien plus tard que j'ai pu nuancer le rapport réel-fiction, jusqu'aux résultats que l'on sait aujourd'hui (en gros, toute réalité devient fiction en assez peu de temps, et toute fiction a, aussi improbable soit-elle, des chances de faire écho dans la réalité. J'en veux pour preuve les Goréens).
Quid des Ninja, alors? Comment dois-je les considérer aujourd'hui? L'affaire devient encore plus opaque quant on sait quel rapport j'ai avec la culture asiatique: j'ai parfois -souvent- l'impression qu'avec la Kabbale, il s'agit de la plus grande farce interculturelle jamais réalisé.
Je ne pense pas qu'un Gaijin puisse avoir accès à la réelle culture japonaise. Les rapports que j'ai eu avec les nippons m'ont souvent fait penser que même quand ils expliquent sincèrement leur culture, c'est toujours avec un côté "le Japon expliqué aux tous petits" un rien condescendant, mais le laisser transparaître leur ferait perdre la face.
Ne me reste alors que ma culture à moi et mon intelligence qui, elle, ne mérite pas trop d'être mise en gras. Je sais que les personnages qualifiés de "Ninja" apparaissent dans le folklore japonais autour du XIVe siècle, pour se poursuivre jusqu'à la période Edo puis disparaître pendant la restoration Meiji. Le terme alternatif, "Shinobi", apparaît lui dans un poême du IIXe, mais beaucoup pense qu'il s'agit juste d'un homonyme pour "voleur".
La politique pendant l'ère Edo est assez bordélique et ressemble à notre bas-Moyen Age. Les seigneurs locaux se démerdent et tant l'équilibre de pouvoir que le traçage des frontière se fait à l'esbrouffe. Tout le monde a l'impression d'être assis sur une poudrière et le premier qui pête a perdu: une bataille, même orchestrée sur un lieu très judicieusement choisi, fout en l'air des hommes et de la terre, les deux ressources principales de l'époque (on a pas encore inventé les usines).
Sachant ça, si on ajoute que les Samurai sont certes combattants, mais flamboyants et célèbres - sans parler du code du Bushido, un brin rigide, envoyer un Samurai faire son malin chez le voisin ressemble à une claque dans la figure. On a donc besoin d'une main-d'oeuvre spécialisée dans les coups en traitre.
C'est ici, et dans ma tête, que se percuttent culture dynastique, darwinisme social et arts martiaux. L'ère Edo est une ère dynastique "ouverte", dans le sens où tout le monde en a une. La transmission des connaissances et des techniques n'est pas aussi aisée qu'aujourd'hui, l'information a donc énormément de valeur de par sa rareté. C'est donc un trésor dynastique: des mariages s'arrangent entre filles de maître-forgerons et fils de maître-miniers pour assurer le commerce et marier également les techniques de l'extraction du minerai et de son façonnage.
Les "Ninja" (je vire les guillemets à la prochaine) ont un métier difficile et mortel (espions, voleurs et assassins professionnels). La sélection naturelle fait que seuls les plus talentueux survivent. S'ils survivent, c'est parce qu'ils ont de bonnes techniques pour se faire. Puisque la transmission des techniques est dynastique, il est crédible qu'il existât des "dynasties de l'ombre" formant des générations de Ninja à des techniques codifiées (car plus faciles à transmettre).
Ces dynasties devaient rester secrètes (par nécessité professionnelle) mais transmettre de l'info (par nécessité dynastique). Elles ont donc dû trouver des codifications, des chiffrages et ce genre de choses. Il n'est pas incroyable qu'il en existe encore de nos jours.
Voilà pourquoi la mystique Ninja - dynastie, rouleaux codés, techniques secrètes - ne me semble pas tellement invraisemblable. J'irai même plus loin en disant que même le gaijin mi-crédule, mi-roublard qui ouvre une école de Ninjitsu ou autres conneries est moins escroc, ou naif, qu'il le croit: il vient juste de fonder sa propre dynastie ninja. Qui, vu le besoin de secret et d'efficacité dans cette profession, a peu de chance de transmettre quoi que ce soit.
*"Ninja" est un mot importé d'une langue n'ayant pas de suffixe marquant le pluriel. Il est donc invariable. Et on dit pas "macaronis" mais "maccherone" bande de paysans.
**je vais juste pas dire quel siècle. |